vous ecris, ne me repondez
plutot pas du tout. Je sais comme vous pensez de moi, et je n'espere
rien en vous disant cela. Je ne puis qu'y perdre une amie et les
seules heures agreables que j'aie passees depuis un mois. Mais je sais
que vous etes bonne, que vous avez aime, et je me confie a vous, non
pas comme a une maitresse, mais comme a un camarade franc et loyal.
George, je suis un fou de me priver du plaisir de vous voir pendant le
peu de temps que vous avez encore a passer a Paris, avant votre voyage
a la campagne et votre depart pour l'Italie, ou nous aurions passe
de belles nuits, si j'avais de la force. Mais la verite est que je
souffre et que la force me manque.
ALFRED DE MUSSET.
L'aveu du poete n'a pas ete repousse. Est-il heureux? Son amie hesite
encore. Avant de s'engager tout a fait, elle semble avoir voulu le
confesser. Il est facheux qu'on n'ait aucune des reponses de George
Sand, a cette date... La lettre suivante de Musset temoigne de son
angoisse devant le bonheur entrevu.
....Je voudrais que vous me connaissiez mieux, que vous voyiez qu'il
n'y a dans ma conduite envers vous ni rouerie ni orgueil affecte, et
que vous ne me fassiez ni plus grand ni plus petit que je suis. Je me
suis livre sans reflexion au plaisir de vous voir et de vous aimer. Je
vous ai aimee non pas chez vous, pres de vous, mais ici, dans cette
chambre ou me voila seul a present. C'est la que je vous ai dit ce que
je n'ai dit a personne.--Vous souvenez-vous que vous m'avez dit un
jour que quelqu'un vous avait demande si j'etais _Octave_ ou _Coelio_
[41], et que vous aviez repondu: "Tous les deux, je crois."--Une folie
a ete de ne vous en montrer qu'un, George!... Plaignez-moi, ne me
meprisez pas. Puisque je n'ai pu parler devant vous, je mourrai muet.
Si mon nom est ecrit dans un coin de votre coeur, quelque faible,
quelque decoloree qu'en soit l'empreinte, ne l'effacez pas. Je puis
embrasser une fille galeuse et ivre morte, mais je ne puis embrasser
ma mere.
[Note 41: Personnages de la comedie d'Alfred de Musset, _les Caprices
de Marianne_, publiee dans la _Revue des Deux Mondes_ du 15 mai 1833.]
Aimez ceux qui savent aimer, je ne sais que souffrir. Il y a des
jours ou je me tuerais. Mais je pleure ou j'eclate de rire; non pas
aujourd'hui par exemple.
Adieu, George. Je vous aime comme un enfant.
Cette fois, la sincerite du poete a ete entendue. Son aveu est
|