e suis trompee,
si cet homme est fort par sa grandeur ou par sa pauvrete.
....Je ne me convainquis pas assez d'une chose, c'est que j'etais
absolument et completement Lelia. Je voulus me persuader que non;
j'esperais pouvoir et abjurer ce role froid et odieux. Je voyais a mes
cotes une femme sans frein, et elle etait sublime[13]; moi, austere
et presque vierge, j'etais hideuse dans mon egoisme et dans mon
isolement. J'essayai de vaincre ma nature, d'oublier les mecomptes du
passe. Cet homme qui ne voulait m'aimer qu'a une condition, et qui
savait me faire desirer son amour, me persuadait qu'il pouvait exister
pour moi une sorte d'amour supportable aux sens, enivrant a l'ame.
Je l'avais compris comme cela jadis et je me disais que peut-etre
n'avais-je pas assez connu l'amour moral pour tolerer l'autre: j'etais
atteinte de cette inquietude romanesque, de cette fatigue qui donne
des vertiges et qui fait qu'apres avoir nie, on remet tout en question
et l'on se met a adopter des erreurs beaucoup plus grandes que celles
qu'on a abjurees.
[Note 13: Mme Dorval.]
....L'experience manqua completement. Je pleurai de souffrance, de
degout et de decouragement. Au lieu de trouver une affection capable
de me plaindre et de me dedommager, je ne trouvai qu'une raillerie
amere et frivole. Ce fut tout.
Si Prosper Merimee m'avait comprise, il m'eut peut-etre aimee, et
s'il m'eut aimee il m'eut soumise, et si j'avais pu me soumettre a un
homme, je serais sauvee, car ma liberte me ronge et me tue. Mais il
ne me connut pas assez, et au lieu de lui en donner le temps, je me
decourageai tout de suite et je rejetai la seule condition qui put
l'attirer a moi.
Apres cette anerie, je fus plus consternee que jamais, et vous m'avez
vue en humeur de suicide tres reelle. Mais s'il y a des jours de froid
et de fievre, il y a aussi des jours de soleil et d'esperance.
Puis, peu a peu, je me suis remise, et meme cette malheureuse et
ridicule campagne m'a fait faire un grand pas vers l'avenir de
serenite et de detachement que je me promets en mes bons jours. J'ai
senti que l'amour ne me convenait pas plus desormais que des roses sur
un front de soixante ans, et depuis trois mois (les trois premiers
mois de ma vie assurement!) je n'en ai pas senti la plus legere
tentation[14].
[Note 14: _Revue de Paris_ du 15 nov. 1896, p. 280. Cette lettre est
(des premiers jours) de jui
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