Sand, trente ans plus tard, dans une lettre a Sainte-Beuve,
ecrira: "Pauvre enfant! _il_ se tuait! Mais _il_ etait deja mort quand
_elle_ l'avait connu! _Il_ avait retrouve avec _elle_ un souffle, une
convulsion derniere[3]!..."
[Note 3: Lettre publiee par le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul.
_Cosmopolis_ du 1er juin 1896.]
Ce n'etait que rancune contre Paul de Musset: _Lui et Elle_ venait de
paraitre (1861) en reponse a _Elle et Lui_.
Si le poete a abuse de la debauche, il est reste genereux, comme sont
les faibles. Deja son genie est mur pour les grands cris humains.
L'esprit gai et le coeur melancolique, il n'a qu'effleure les joies et
les douleurs du veritable amour. Voici venir la passion qui transformera
son ame, qui, epurant et elevant ses qualites natives, lui arrachera des
cris immortels.
George Sand touche a la trentaine. Elle a aussi sa legende; mais
celle-ci a depasse les bornes d'un cenacle. Elle est celebre pour sa vie
independante dans un mariage qu'elle n'a pas rompu, pour ses allures
d'androgyne, son gout des paradoxes sociaux, sa liaison avec Jules
Sandeau, leur livre (_Rose et Blanche_, signe "Jules Sand"), ses livres
surtout, _Indiana_ et _Valentine_. Elle acheve _Lelia_ qui va mettre le
sceau a sa gloire future.
Ce n'est pas ici le lieu de conter la premiere jeunesse de George Sand.
On nous en a donne recemment un tableau qui semble veridique[4], a
l'aide de sa correspondance inconnue et de cette _Histoire de ma vie_,
ou elle-meme nous a dit ses premieres annees, avec une sincerite qu'on
ne peut mettre en doute et un incomparable charme. Il faut cependant la
resumer en quelques traits, pour expliquer les influences qui ont regi
sa vie.
[Note 4: S. ROCHEBLAVE, _George Sand avant George Sand_, dans la
_Revue de Paris_ du 15 mars 1896.]
Petite-fille du receveur-general Dupin de Francueil et d'une batarde de
l'aventureux et brillant Maurice de Saxe,--femme indulgente et fine,
a l'esprit fort et cultive, aieule d'ancien regime, qui fut sa vraie
educatrice,--elle est nee des amours d'un soldat, leur enfant prodigue,
avec la fille d'un oiseleur.
Entre sa grand'mere aristocrate et sa mere restee tres peuple, elle
fut tiraillee et troublee dans ses jeunes tendresses. Le couvent
des Augustines de Paris, ou on la mit de bonne heure, developpa ses
penchants mystiques. De retour a Nohant, ces souvenirs religieux,
l'influence contraire de sa grand'mere et du bonhomme Dechartres, qui
avait ete
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