les ai comptees devant lui. N'est-il
pas vrai, Frederic?
FREDERIC.--Ma foi, je ne m'en souviens pas.
JULIEN.--Comment? Tu ne te souviens pas que je les ai comptees tout haut
devant toi, et que les quarante-huit y etaient?
FREDERIC.--Ecoute donc, je ne suis pas charge des dindes, moi; ce n'est
pas mon affaire, et je n'y ai pas fait attention.
MADAME BONARD.--Par ou aurait-elle passe puisque tu n'as pas quitte la
cour?
JULIEN.--Pardon, maitresse, je me suis absente l'espace d'un quart
d'heure pour aller chercher la blouse de Frederic, qu'il avait laissee
dans le champ.
MADAME BONARD.--As-tu vu entrer quelqu'un dans la cour, Frederic?
FREDERIC.--Je n'en sais rien; je suis parti tout de suite avec le
collier pour le faire arranger.
MADAME BONARD.--C'est singulier! Mais tout de meme, je ne veux pas que
mes dindes se perdent sans que je sache ou elles ont passe. C'est toi
que cela regarde, Julien. Il faut que tu me retrouves ma dinde ou que
tu me la payes. Va la chercher dans les environs, elle ne doit pas etre
loin.
Julien se leva et courut de tous cotes sans retrouver la bete disparue.
Il faisait tout a fait nuit quand il rentra; tout le monde etait couche.
Julien avait le coeur gros; il monta dans le petit grenier ou il
couchait. Une paillasse et une couverture formaient son mobilier; deux
vieilles chemises et une paire de sabots etaient tout son avoir. Il se
mit a genoux, tirant de son sein une petite croix en cuivre qui lui
venait de sa mere.
"Mon bon Jesus, dit-il en la baisant, vous savez qu'il n'y a pas de ma
faute si cette dinde n'est plus dans mon troupeau; faites qu'elle se
retrouve, mon bon Jesus. Que la maitresse et M. Bonard ne soient plus
faches contre moi, et que Frederic se souvienne que mes dindes y etaient
toutes quand je les ai ramenees! Je suis seul, mon bon Jesus; je suis
pauvre et orphelin, ne m'abandonnez pas; vous etes mon pere et mon ami,
j'ai confiance en vous. Bonne sainte Vierge, soyez-moi une bonne mere,
protegez-moi."
Julien baisa encore son crucifix et se coucha; mais il ne s'endormit pas
tout de suite; il s'affligeait de paraitre negligent et ingrat envers
les Bonard, qui avaient ete bons pour lui, et qui l'avaient recueilli
quand la mort de ses parents l'avait laisse seul au monde.
De plus, il etait inquiet de la disparition de cette dinde; il ne
pouvait s'expliquer ce qu'elle etait devenue, et il avait peur qu'il
n'en disparut d'autres de la meme facon.
Le len
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