? Je sais ce que j'ai a faire.
Prends garde toi-meme! Si tu as le malheur d'en dire un seul mot a mon
pere et a ma mere, nous te donnerons une rossee dont tu te souviendras
longtemps.
JULIEN.--Tu n'as pas besoin de craindre que je te fasse gronder. Tu sais
que je fais toujours mon possible pour t'eviter des reproches. Que de
fois je me suis laisse gronder pour toi!
FREDERIC, _avec aigreur_.--C'est bon! je n'ai pas besoin que tu
rappelles les generosites dont tu te vantes. Avec tes belles idees,
Alcide dit que tu resteras un imbecile et un pauvrard a la charite de
mes parents, comme tu l'es depuis un an, ce qui n'est agreable ni pour
eux ni pour moi, car tu as beau faire, tu resteras toujours un etranger
qu'on peut chasser d'un jour a l'autre."
Julien rougit et voulut repondre; mais il se contint, et continua
a balayer la cour, pendant que Frederic sifflotait un air qu'il
recommencait toujours.
Un autre sifflet, qui reprit le meme air, se fit entendre dans le
lointain. Frederic se tut, prit un trait de charrue, le tordit pour
le dechirer, tira dessus pour achever de le separer en deux, et dit a
Julien:
"Si mon pere me demande, tu lui diras que j'ai ete porter ce vieux trait
a raccommoder chez le bourrelier. Tu vois qu'il est casse; regarde bien,
pour dire ce qui en est si mon pere te questionne.
--Je vois", repondit Julien tristement.
Frederic s'en alla avec le trait.
"Je sais bien ou il va, se dit Julien. Un rendez-vous avec son ami
Alcide. Ce malheureux Frederic! comme il est change depuis quelque
temps! Cet Alcide lui a fait bien du mal!"
"Julien, Julien! voici l'heure de t'habiller pour aller diner chez M.
Georgey, cria Mme Bonard. Il faut te faire propre, mon garcon. Mets ta
blouse des dimanches; donne-toi un coup de peigne, un coup de savon, et
viens me trouver dans la salle. Je t'y attends."
Julien avait fini son ouvrage; il posa le balai dans l'ecurie et courut
se debarbouiller a la pompe.
"Je me nettoierai aussi bien a grande eau que si j'usais le savon de Mme
Bonard. Frederic a dit vrai; je suis a la charite de M. et Mme Bonard:
je dois faire le moins de depense possible."
Julien soupira; puis il se lava, se frotta si bien, qu'il sortit tres
propre de dessous la pompe; il demela ses cheveux bien laves avec le
peigne de l'ecurie qui servait aux chevaux, mit du linge blanc, une
vieille blouse deteinte, mais propre, ses souliers ferres, et alla
retrouver dans la salle Mme Bonard, qui l'
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