passant devant le champ
ou Julien gardait les dindons, il lui annonca le consentement de Mme
Bonard, lui promit de le rendre tres heureux, de lui faire apprendre
toutes sortes choses, et de le laisser venir chez les Bonard tous les
soirs.
Julien ne pleura pas cette fois; il commencait a avoir de l'amitie pour
l'Anglais, qui avait ete si bon pour lui; il comprenait que chez
M. Georgey il ne serait a charge a personne, qu'il y recevrait une
education meilleure que chez Mme Bonard. Et puis, il craignait un peu
de se laisser gagner par les mauvais exemples de Frederic et par les
detestables conseils d'Alcide, qu'il ne pouvait pas toujours eviter.
Julien se borna donc a soupirer; il remercia M. Georgey et lui promit de
se tenir pret pour le surlendemain. M. Georgey lui secoua la main, lui
dit qu'il le reverrait a la foire, et s'en alla tres content.
A peine fut-il parti qu'Alcide sortit du bois.
ALCIDE.--Bonjour, Julien, tu gardes toujours tes dindons? Belle
occupation, en verite!
--J'aime mieux garder les dindons que les voler, repondit sechement
Julien.
ALCIDE.--Ah! tu m'en veux encore, a ce que je vois. Ne pense plus
a cela, Julien; j'ai eu tort, je le sais, et je t'assure que je ne
recommencerai pas. Viens-tu a la foire demain?
JULIEN.--Je n'en sais rien; c'est comme Mme Bonard voudra. Je n'y tiens
pas beaucoup, moi.
ALCIDE.--Tu as tort: ce sera bien amusant; des theatres, des droleries,
des tours de force de toute espece.
JULIEN.--Tu ne verras rien de tout cela, toi, puisque tu n'as pas
d'argent.
ALCIDE.--Bah! on trouve toujours moyen de s'en procurer. Et puis, je
suis convenu avec Frederic d'y conduire l'Anglais; il nous regalera.
JULIEN.--Alcide, tu vas faire quelques tromperies a ce bon M. Georgey.
Je ne veux pas de ca, moi.
ALCIDE.--Quelle tromperie veux-tu que je lui fasse? Ce n'est pas que ce
soit difficile, car il est bete comme tout; on lui fait accroire tout ce
qu'on veut.
JULIEN.--Il n'est pas bete; il est trop bon. Si tu l'as trompe avec
tes dindons, c'est parce qu'il a eu confiance en toi et qu'il t'a cru
honnete.
ALCIDE, _en ricanant_.--Tu m'ennuies avec tes dindons, tu repetes
toujours la meme chose! Si tu crains que nous ne trompions ton Anglais,
viens avec lui; tu nous empecheras de l'attraper, tu le protegeras
contre nous.
JULIEN.--Ma foi, je ne dis pas non; et ce serait une raison pour aller a
cette foire dont je ne me soucie guere pour mon compte.
ALCIDE.--Vas-y
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