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JULIEN.--Ne t'en tourmente pas. Je suis deja place.
FREDERIC.--Place! Toi place? Et chez qui donc?
JULIEN.--Chez M. Georgey. Le bon M. Georgey, qui veut bien me garder
chez lui."
Frederic retomba sur sa chaise dans son etonnement. Julien serait a
la place qu'ambitionnait, qu'esperait Alcide! Une place si pleine
d'agrements, pres d'un homme si facile a tromper! Et c'etait ce petit
sot, ce petit pauvrard qui profitait de tous ces avantages!
"Il faut que je voie Alcide, se dit-il; il faut que je le previenne; il
a de l'esprit, il est fin, il trouvera peut-etre un moyen de le perdre
dans l'esprit de l'Anglais.... Heureusement que nous avons encore une
journee devant nous." Julien examinait la figure sombre de Frederic et
se disait:
"Il n'est pas content, a ce qu'il parait. Il ne veut pas que j'aille a
la foire, il a peur que je les empeche de tromper ce pauvre M. Georgey.
Raison de plus pour que j'y aille."
Ils resterent quelques minutes sans rien dire, sans se regarder. Mme
Bonard rentra pour servir le souper.
Tous deux se leverent. Frederic allait parler, mais Julien le prevint.
"Maitresse, dit-il en s'avancant vers elle, j'ai quelque chose a vous
demander, une chose que je desire beaucoup.
MADAME BONARD.--Parle, mon enfant; tu ne m'as jamais rien demande. Je ne
te refuserai pas, bien sur.
JULIEN.--Maitresse, j'ai bien envie d'aller demain a la foire.
MADAME BONARD.--Tu iras, mon ami, tu iras. J'allais te dire de t'y
preparer; tu as bien des choses a acheter pour etre vetu proprement. Et
ce n'est pas l'argent qui te manque, tu sais bien.
JULIEN.--Avec tout ce que vous m'avez deja achete, maitresse, je n'ai
guere plus de dix francs; a cinq francs par mois, il faut du temps pour
gagner de quoi se vetir.
MADAME BONARD.--Dix francs! Tu vois ce que tu as."
Et, ouvrant l'armoire, elle en tira un petit sac en toile, le denoua et
etala sur la table cinq pieces de vingt francs, quatre pieces de cinq
francs et trois francs soixante centimes de monnaie.
"Tu vois, mon ami, dit-elle, tu es plus riche que tu ne le pensais.
JULIEN.--Ce n'est pas a moi ces cinq pieces d'or, maitresse. Vous savez
que je vous les ai laissees pour le menage.
MADAME BONARD.--Et tu crois, pauvre petit, que j'aurais consenti a te
depouiller du peu que tu possedes et que tu dois a la generosite de M.
Georgey. Non, ce serait une vilaine action que je ne ferai jamais.
JULIEN.--Merci, maitresse; je suis bien reconnaissa
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