se laissa entrainer chez le cousin horloger. Alcide
demanda des montres; on lui en montra plusieurs en argent.
"Des montres d'or, dit Alcide en repoussant avec mepris celles d'argent.
--Tu es donc devenu bien riche? repondit le cousin.
ALCIDE.--Oui; on nous a donne de quoi acheter des montres en or.
L'HORLOGER.--C'est different. En voici a choisir.
ALCIDE.--Quel prix?
L'HORLOGER.--En voici a cent dix francs; en voila a cent vingt; cent
trente et au dela.
ALCIDE.--Laquelle prends-tu, Frederic?
FREDERIC.--Je n'en sais rien; je n'en veux pas une trop chere.
L'HORLOGER.--En voici une de cent vingt francs, Monsieur, qui fera bien
votre affaire.
--Et moi, dit Alcide, je me decide pour celle-ci; elle est fort jolie.
Combien?
L'HORLOGER.--Cent trente, tout au juste.
ALCIDE.--Tres bien; je la prends.
L'HORLOGER.--Une minute; on paye comptant; je ne me fie pas trop a ton
credit.
ALCIDE.--Je paye et j'emporte. Voici de l'or; ca fait combien a donner?
L'HORLOGER.--Ce n'est pas malin a compter: cent vingt et cent trente
ca fait deux cent cinquante. Voici vos montres et leurs clefs; plus un
cordon parce que vous n'avez pas marchande."
Alcide tira de sa poche une multitude de pieces de vingt francs; il en
compta dix, puis deux; puis deux pieces de cinq francs que lui avait
rendues le garcon de cafe, et empocha le reste.
L'HORLOGER.--Tu as donc fait un heritage?
ALCIDE.-Non, mais j'ai un nouvel ami, riche et genereux, qui a voulu que
nous eussions des montres. Au revoir, cousin.
L'HORLOGER.--Au revoir; tache de m'amener ton ami.
ALCIDE.--Je te l'amenerai; ce sera un vrai service que je t'aurai rendu,
car la vente ne va pas fort, ce me semble.
L'HORLOGER.--Pas trop; d'ailleurs, plus on a de pratiques et plus on
gagne."
Les deux fripons s'en allerent avec leurs montres dans leur gousset;
Alcide etait fier et tirait souvent la sienne pour faire voir qu'il en
avait une. Frederic, honteux et effraye, n'osait toucher a la sienne
de peur qu'une personne de connaissance ne la vit et n'en parlat a son
pere.
"A present, dit Alcide, allons voir les autres curiosites."
Et il se dirigea vers le champ de foire, ou se trouvaient reunis les
baraques et les tentes a animaux feroces ou savants, les faiseurs de
tours, les theatres de farces et les danseurs de corde. Ils entrerent
partout; Alcide riait, s'amusait, causait avec les voisins. Frederic
avait la mine d'un condamne a mort, serieux, sombre,
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