ou n'y vas pas, ca m'est egal. Frederic et moi, nous
irons avec l'Anglais, tu peux bien y compter."
Alcide mit ses mains dans ses poches et s'en alla en sifflant:
_J'ai du bon tabac, dans ma tabatiere.
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas._
Julien le suivit des yeux quelque temps.
"J'irai, se dit-il. Je vais demander a Mme Bonard d'y aller. J'irai avec
le bon M. Georgey, et peut-etre lui serai-je utile."
Alcide se disait de son cote:
"Il ira, bien sur qu'il ira. Il se figure qu'il nous empechera de faire
nos petites affaires. Mais il est certain qu'il nous y aidera sans le
savoir.... Ce Frederic est embetant tout de meme. S'il avait bien voulu
m'ecouter, nous n'aurions pas eu besoin de ce grand nigaud d'Anglais
pour nous amuser.... Ce n'etait pourtant pas si mal de chiper a ses
parents une piece de dix francs. Le bien des parents n'est-il pas le
notre? Avec cela qu'il est seul enfant et que ses parents ne lui donnent
jamais rien pour s'amuser.... Mais, faute de mieux, l'Anglais fera notre
affaire. Nous le griserons et puis nous verrons.... Si Julien y va avec
lui,... nous le griserons aussi, nous lui ferons faire ce que nous
voudrons et nous lui mettrons tout sur le dos. Et puis, d'ici a demain,
je trouverai peut-etre un moyen de me procurer l'argent. Vive la joie!
Vive le vin, la gibelotte et le cafe! Je ne connais que ca de bon moi!"
X
LE COMPLOT
Julien revint avec ses dindes; il les compta, les renferma, leur donna
du grain et rentra a la maison.
Il n'y trouva que Frederic; Bonard labourait encore, Mme Bonard etait a
la laiterie.
"Tu ne vas pas a la foire demain? demanda Frederic a Julien.
JULIEN.--Si fait, je crois bien que j'irai. Je le demanderai ce soir a
Mme Bonard.
FREDERIC, _surpris_.--Comment? tu disais hier que tu resterais a la
maison.
JULIEN, _avec malice_.--Oui, mais j'ai change d'idee.
FREDERIC.--Qu'est-ce qui gardera les dindes si tu t'en vas?
JULIEN.--Elles ne mourront pas pour rester un jour dans la cour avec du
grain a volonte.
FREDERIC.--Mais il faudra bien que quelqu'un reste pour garder la
maison.
JULIEN.--Ah bien! on t'y fera rester sans doute.
FREDERIC, _indigne_.--Moi!... par exemple! Moi le fils de la
maison! Pendant que toi tu irais t'amuser! Toi qui es ici par charite
pour servir tout le monde!
JULIEN, _attriste_.--Je n'y resterai pas longtemps! Ce ne sera pas
moi qui te ruinerai.
FREDERIC.--Et ou iras-tu? Qu'est-ce qui voudra de to
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