Assez de suppositions, mes bonnes femmes; quand nous parlerions
jusqu'a demain, nous n'en serions pas plus savants. Frederic reviendra
avant la nuit; nous allons savoir par lui ce qu'il a vu et entendu.
Et demain j'irai porter ma plainte au maire et a la gendarmerie: ils
sauront bien decouvrir les voleurs."
Cette assurance mit fin aux reflexions des deux amies. Mme Blondel
continua son chemin pour se rendre au village, ou elle alla de porte
en porte raconter l'aventure dont elle avait ete temoin. Mme Bonard
s'occupa des bestiaux et de la recherche de ses dindes perdues. Bonard
alla soigner ses chevaux, faire ses comptes et calculer les profits
inesperes qu'il avait faits de la vente de ses genisses, vaches et
poulains.
Quand le travail de la journee fut termine, le mari et la femme se
rejoignirent dans la salle pour souper et attendre le retour de Frederic
et de Julien.
XIV
DINER AU CAFE
Pendant ces agitations de la ferme, Frederic et Alcide avaient rejoint a
la ville M. Georgey et Julien. Ils ne reconnurent pas Julien au premier
coup d'oeil. M. Georgey lui avait achete un habillement complet en beau
drap gros bleu, un chapeau de castor, des souliers en cuir verni: il
avait l'air d'un monsieur.
Le premier sentiment des deux voleurs fut celui d'une jalousie haineuse
de ce qu'ils appelaient son bonheur; le second fut un vif desir
d'obtenir de M. Georgey la meme faveur.
ALCIDE.--Comment, c'est toi, Julien? Qu'est-ce qui t'a donne ces beaux
habits? Je n'en ai jamais eu d'aussi beaux, moi qui suis bien plus riche
que toi!
FREDERIC.--Es-tu heureux d'etre si bien vetu! Je serais bien content que
mes parents m'eussent traite aussi bien que toi. Mais ils ne me donnent
jamais rien; ils ne m'aiment guere, et je suis sans le sou comme un
pauvre.
M. GEORGEY.--C'etait le petite Juliene soi-meme avait achete tout."
Julien voulut parler. M. Georgey lui mit la main sur la bouche.
M. GEORGEY.--Toi, petite Juliene, pas dire une parole. Je pas vouloir.
Je voulais silence.
ALCIDE.--Je parie, Monsieur, que c'est vous qui avez tout paye. Vous
etes si bon, si genereux!
FREDERIC.--Et vous aimez tant a donner! Et on est si heureux quand vous
donnez quelque chose!
M. GEORGEY.--C'etait le verite vrai? Alors moi donner quelque chose a
vous si vous etes plus jamais malhonnetes. Vous trois venir apres mon
dos. Je donner dans le minute. Petite Juliene, toi me diriger pour une
excellente diner. Et apres, je donne
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