isait raconter tous les petits evenements de la vie
de son protege: son enfance malheureuse, la misere de ses parents, la
triste fin de son pere mort du cholera, et de sa mere, morte un an apres
de chagrin et de misere; son abandon, la charitable conduite de M. et
Mme Bonard, et leur bonte a son egard depuis plus d'un an qu'il etait a
leur charge.
M. GEORGEY.--Et toi, pauvre petite Juliene, toi etais pas heureuse?
demanda-t-il un jour.
JULIEN.--Je serais heureux, Monsieur si je ne craignais de gener mes
bons maitres. Ils ne sont pas riches; ils n'ont que leur petite terre
pour vivre, et ils travaillent tous deux au point de se rendre malades
parfois.
M. GEORGEY.--Et Frederic? Il etait un faineante?
JULIEN, _embarrasse_.--Non, M'sieur: mais,... mais...
M. GEORGEY.--Tres bien, tres bien, petite Juliene, je comprenais; je
voyais le vraie chose. Toi voulais pas dire mal. Et Frederic il etait
une polissonne, une garnement mauvaise, une voleur, une...
JULIEN, _vivement_.--Non, non, Monsieur; je vous assure que...
M. GEORGEY.--Je savais, je disais, je croyais. Tais-toi, petite
Juliene... Prends ca, petite Juliene, ajouta-t-il en lui tendant une
piece d'or. Prendez, je disais: prendez, repeta-t-il d'un air d'autorite
auquel Julien n'osa pas resister. C'etait pour acheter une blouse neuf."
M. Georgey se leva, serra la main de Julien, et s'en alla d'un pas grave
et lent sans tourner la tete.
Le lendemain, M. Georgy revint s'asseoir comme de coutume pres de
Julien, pour l'interroger et le faire causer. En le quittant, il lui
tendit une nouvelle piece d'or, que Julien refusa energiquement.
JULIEN.--C'est trop, M'sieur, c'est trop; vrai, c'est beaucoup trop.
M. GEORGEY.--Petite Juliene, je voulais. C'etait pour acheter le
_inexpressible_ (pantalon)."
Et, comme la veille, il le forca a accepter la piece de vingt francs.
Le surlendemain, meme visite et une troisieme piece d'or.
"C'etait pour acheter une gilete et une couverture pour ton tete. Je
voulais."
Pendant deux jours encore, M. Georgey lui fit prendre de force sa piece
de vingt francs. Julien etait reconnaissant, mais inquiet de cette
grande generosite.
Tous les jours il remettait sa piece d'or a Mme Bonard en la priant de
s'en servir pour les besoins du menage.
JULIEN.--Moi, je n'ai besoin de rien, maitresse, grace a votre bonte; et
je serais bien heureux de pouvoir vous procurer un peu d'aisance.
MADAME BONARD.--Bon garcon! je te remerc
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