attendait en raccommodant du
linge. Elle l'examina.
MADAME BONARD.--Bien! tu es propre comme cela. La blouse n'est pas des
plus neuves, mais tu en acheteras une a la foire prochaine.
JULIEN.--Et M. Bonard? Est-ce qu'il ne vient pas?
MADAME BONARD.--Il va nous rejoindre chez l'Anglais; il a ete marchander
un troupeau d'oies."
Ils se mirent en route; Julien parlait peu, il etait triste.
MADAME BONARD.--Qu'est-ce que tu as, mon Julien? Tu ne dis rien; tu es
tout serieux, comme qui dirait triste.
JULIEN.--Je ne crois pas, maitresse, je n'ai rien qui me tourmente.
MADAME BONARD.--Tu es peut-etre honteux de ta blouse?
JULIEN.--Pour ca non, maitresse; elle est encore trop belle pour ce que
je vaux et pour l'ouvrage que je fais chez vous.
MADAME BONARD.--Qu'est-ce que tu dis donc? Tu travailles du matin au
soir; le premier leve, le dernier couche.
JULIEN.--Oui, maitresse; mais quel est l'ouvrage que je fais? A quoi
suis-je bon? A me promener toute la journee avec un troupeau de dindes?
Ce n'est pas un travail, cela.
MADAME BONARD.--Et que veux-tu faire de mieux, mon ami? Quand tu seras
plus grand, tu feras autre chose.
JULIEN.--Oui, maitresse; mais en attendant, je mange votre pain, je bois
votre cidre, je vous coute de l'argent; c'est une charite que vous me
faites, et je ne puis rien pour vous, moi; voila ce qui me fait de la
peine."
Julien passa le revers de sa main sur ses yeux. Mme Bonard s'arreta et
le regarda avec surprise.
MADAME BONARD.--Ah ca! qu'est-ce qui te prend donc? Ou as-tu pris toutes
ces idees?
JULIEN.--On me l'a dit, maitresse; de moi-meme je n'y avais pas pense:
je suis trop bete pour l'avoir compris tout seul.
MADAME BONARD.--Si je savais quel est le mechant coeur qui t'a donne ces
sottes pensees, je lui dirais ce que j'en pense, moi. Ce n'est pas toi
qui es bete, c'est l'imbecile qui t'a fait croire tout ce que tu viens
de me debiter. Nomme-le-moi, Julien; je veux le savoir.
JULIEN.--Pardon, maitresse; je ne peux pas vous le dire, puisque vous
trouvez qu'il a mal fait.
MADAME BONARD.--Bon garcon, va! Mais n'en crois pas un mot, c'est tout
des mensonges. J'ai besoin de toi, et tu me fais l'ouvrage d'un homme,
et tu prends mes interets, et je serais bien embarrassee sans toi.
JULIEN.--Merci bien, maitresse, vous avez toujours ete bonne pour moi."
Ils continuerent leur chemin et arriverent bientot chez M. Georgey; le
pere Bonard les attendait a la porte.
CAROLI
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