l en etait bien
certain) quand Frederic l'avait envoye au moulin, et personne n'avait pu
ni les prendre, ni les laisser courir... excepte Frederic lui-meme.
Julien raconta a Mme Bonard comment les choses s'etaient passees,
comment c'etait Frederic qui s'etait charge de faire rentrer les dindes,
de les enfermer, et que, bien certainement, les quarante-sept s'y
trouvaient, puisqu'il les avait comptees devant Frederic.
"C'est impossible, lui repondit Mme Bonard, puisque c'est moi, moi-meme,
qui ai trouve les dindes abandonnees dans la cour, personne pour les
garder et les rentrer; c'est moi qui les ai comptees, et je n'en ai
trouve que quarante-six.
--Frederic m'avait pourtant bien promis de les rentrer tout de suite,
repondit tristement Julien, et je suis sur que c'est bien quarante-sept
dindons que je lui ai remis avant d'aller au moulin."
Bonard ecoutait et paraissait contrarie.
"Ecoute, ma femme, dit-il, attendons Frederic pour eclaircir l'affaire,
et, en attendant, donne a Julien son souper complet; il a explique la
chose comme un honnete garcon, et il dit vrai, je te le garantis. C'est
drole tout de meme que deux jeudis de suite il nous disparaisse une
dinde et que Frederic ne le voie pas.
MADAME BONARD.--Quoi donc? Que veux-tu dire? Quelle est ton idee? car tu
en as une, je le vois bien.
BONARD.--Certainement, j'en ai une; peut-etre est-elle bonne, peut-etre
mauvaise.
MADAME BONARD.--Mais quelle est-elle? Dis toujours.
BONARD.--Eh bien, je dis que le jeudi est la veille du vendredi.
MADAME BONARD, _riant_.--Voila une idee neuve! nous n'avions pas
besoin de toi pour faire cette decouverte.
BONARD.--Oui, mais tu oublies que le vendredi est jour de marche a la
ville; qu'on y vend des volailles, et qu'un mauvais sujet a bientot fait
de saisir une dinde, de l'etouffer et de l'emporter.
MADAME BONARD.--Ca, c'est vrai. Mais comment veux-tu qu'un etranger
vienne jusque dans notre cour sans etre vu, qu'il ait le temps de courir
apres les dindes et de faire son choix pour mettre la main sur la plus
grasse, la plus belle?
BONARD.--C'est precisement la que j'ai mon idee: je te la dirai plus
tard. Donne-nous a souper en attendant."
La femme Bonard regarda son mari avec inquietude; elle commencait a
avoir une crainte vague de l'idee de son mari; elle se sentait troublee.
Pourtant elle ne dit rien et commenca les preparatifs du souper. Elle
posa sur la table une terrine de soupe bien chaude et un pla
|