pere, y mit toute la mauvaise grace
possible; il marcha lentement, apres avoir perdu du temps a chercher la
brouette, a trouver un sac vide, le secouer, a reprendre le sac d'orge,
a le charger sur la brouette. Julien voulut l'aider, mais Bonard l'en
empecha.
"Le voila enfin en route, dit Bonard quand Frederic fut parti. Et toi,
Julien, je te defends a l'avenir de faire son ouvrage. Il devient
paresseux, coureur; il s'est lie avec ce mauvais garnement Alcide, le
fils du cafetier; je le lui ai defendu, mais il le voit tout de meme, je
le sais. Vient-il ici quand je n'y suis pas?
JULIEN.--Jamais, M'sieur. Depuis que M'sieur l'a chasse, il y a bientot
trois mois, il n'est pas venu une seule fois.
BONARD.--As-tu compte tes dindes ce soir? Y sont-elles toutes?
JULIEN.--Oui, M'sieur, elles y sont; j'en ai compte quarante-sept. C'est
Frederic qui les a rentrees pendant que j'etais au moulin pour avoir du
son.
BONARD.--Je n'aime pas cet echange de travail; c'etait a toi de rentrer
tes dindes, et Frederic devait aller lui-meme au moulin. Je te repete
qu'a l'avenir je veux que chacun fasse son ouvrage; tous ces melanges et
complaisances n'amenent rien de bon; il en resulte que les uns n'en font
pas assez et que les autres en font trop.
JULIEN.--Je suis bien fache de vous avoir mecontente, M'sieur; je
croyais bien faire en obeissant au fils de M'sieur, car je sais bien que
je suis le dernier dans la maison de M'sieur qui a ete si bon pour moi
et qui m'a recueilli quand tout le monde me repoussait.
BONARD.--Ecoute, Julien; si tu es reconnaissant du bien que je te fais,
tu me le temoigneras en ne favorisant pas la paresse de Frederic. C'est
un defaut dangereux qui mene a beaucoup de sottises, et je veux que
Frederic reste bon sujet.
JULIEN.--Je vous obeirai, M'sieur; je sais que c'est mon devoir."
Tout en causant, Bonard avait donne de l'avoine aux chevaux, pendant que
Julien faisait la litiere. Quand les chevaux furent servis et arranges,
Bonard rentra pour souper; Julien le suivit de pres.
MADAME BONARD.--Ah! te voila, mauvais garnement! Tu as encore perdu une
dinde, et cette fois je ne te le passerai pas. Tu n'auras que de la
soupe et du pain sec pour ton souper, et je te retiendrai le prix de la
dinde sur les soixante francs que te donne Bonard pour ton entretien;
ainsi, mon garcon, compte sur cinquante-six francs au lieu de soixante
pour cette annee."
Julien etait consterne. Toutes ses dindes y etaient (i
|