st-ce que je sais qui vous etes et si vous
dites vrai?
CAROLINE.--Puisque je t'appelle par ton nom, c'est que quelqu'un me l'a
dit; et ce quelqu'un, c'est Mme Bonard. Voyons, laisse-moi faire, et
voici les quatre francs.
JULIEN.--Je ne vous laisserai pas faire, et je ne veux pas de vos quatre
francs. Vous faites comme Alcide, qui m'offrait aussi quatre francs pour
avoir un dindon qu'il revendait huit francs a son Anglais.
CAROLINE.--Quel Anglais? M. Georgey? c'est mon maitre.
JULIEN.--Tant pis pour vous; votre maitre emploie des fripons comme
Alcide a son service; je me moque bien de votre Anglais; je ne connais
que Mme Bonard, et je donne rien que par son ordre.
CAROLINE.--Tu n'es guere poli, Julien; je vais aller me plaindre a Mme
Bonard.
JULIEN.--Allez ou vous voulez et laissez-nous tranquilles, moi et mes
quarante-six betes.
CAROLINE.--Quarante-six betes et toi, cela en fait bien quarante-sept;
et la plus grosse n'est pas la moins bete.
JULIEN.--Tout ca m'est egal. Allez vous plaindre si cela vous fait
plaisir: dites-moi toutes les injures qui vous passeront par la tete,
offrez-moi tout l'argent que vous avez, rien n'y fera: vous ne toucherez
pas a mes dindes.
CAROLINE.--Petit entete, va! Tu me fais perdre mon temps a courir. Si je
voulais, j'en prendrais bien une malgre toi.
JULIEN.--Essayez donc, et vous verrez."
Et Julien se campa resolument entre Caroline et son troupeau, les poings
fermes prets a agir, et les pieds en bonne position pour l'attaque ou la
defense.
Caroline leva les epaules et s'en alla du cote de la ferme.
"Elle n'est pas mechante tout de meme, pensa Julien: c'est egal, je ne
la connais pas, je dois prendre les interets de mes maitres, et t'ai
bien fait en somme."
Caroline revint a ta ferme et conta a Mme Bonard ce qui s'etait passe.
Mme Bonard rit de bon coeur.
"C'est un brave petit garcon, dit-elle: il a eu peur qu'il ne lui
arrivat une aventure comme avec Alcide, et il a bien fait.
CAROLINE.--Grand merci! Vous trouvez bien fait de m'avoir cingle les
doigts a m'en laisser la marque, de me...
MADAME BONARD.--Ecoutez donc, c'est ma faute; j'aurais du vous
accompagner et lui expliquer moi-meme notre marche. Venez, venez,
Caroline, je vais vous faire donner votre dinde."
Elles retournerent au champ, et, a leur grande surprise, elles virent
pres de Julien M. Georgey riant et se tenant les cotes.
Quand elles approcherent, il redoubla ses eclats de rire et n
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