peux pas quitter mes dindes, M'sieur. Il faut que je les
fasse paitre.
L'ANGLAIS.--Petre? Quoi c'est, petre?
JULIEN.--Paitre, manger. Je ne les rentre que le soir.
L'ANGLAIS.--Moi, je comprends pas tres bien. Toi manger toutes les
grosses _turkeys_? Aujourd'hui?
JULIEN.--Non, M'sieur... Adieu, M'sieur."
Et Julien, ennuye de la conversation de l'Anglais, le salua et fit
avancer les dindons; l'Anglais le suivit. Julien eut beau s'arreter,
marcher, aller de droite et de gauche, l'Anglais ne le quittait pas.
Julien, un peu trouble de cette obstination, et craignant que cet
etranger ne lui enlevat une ou deux de ses dindes, les dirigea du cote
de la ferme pour appeler quelqu'un a son aide.
Au moment ou il allait tourner au coin du petit bois, il apercut un
jeune garcon qui en sortait, se dirigeant aussi vers la ferme.
Julien appela.
"Eh! par ici, s'il vous plait! un coup de main pour rentrer plus vite
mes dindes."
Le garcon se retourna; Julien reconnut Alcide. Il regretta de l'avoir
appele. Alcide accourut pres de Julien, et a son tour reconnut
l'Anglais, qu'il salua.
ALCIDE.--Que me veux-tu, Julien? Tu ne m'appelles pas souvent, et
pourtant je ne demande pas mieux que de t'obliger.
JULIEN.--Tu sais bien, Alcide, que mon maitre nous defend, a Frederic
et a moi, de causer avec toi. Si je t'ai appele aujourd'hui, c'est pour
m'aider a ramener a la ferme mes dindes qui s'ecartent; elles sentent
que ce n'est pas encore leur heure.
ALCIDE.--Et pourquoi es-tu si presse de les rentrer?
JULIEN.--Parce que je me mefie de cet homme qui s'obstine a me suivre
depuis deux heures; je ne sais pas ce qu'il me veut. Je ne comprends pas
son jargon.
ALCIDE.--C'est un brave homme, va; il ne te fera pas de mal, au
contraire.
JULIEN.--Comment le connais-tu?
ALCIDE.--Il demeure tout proche de chez nous, la porte a cote."
L'Anglais s'approcha.
"Bonjour, _good morning, my dear_, dit-il s'adressant a Alcide; je
voulais acheter ces grosses _turkeys_, et le petite, il voulait
pas.
ALCIDE.--Attendez, Monsieur, je vais vous arranger cela. Dis donc,
Julien. M. Georgey te demande une de tes dindes. Il t'en donnera un bon
prix.
JULIEN.--Est-ce que je peux vendre ces dindes? Tu sais bien qu'elles ne
sont pas a moi. Qu'il aille a la ferme parler a Mme Bonard, c'est elle
qui vend les volailles. Je le lui ai deja dit, et il s'obstine toujours
a me suivre. Voila pourquoi je t'ai appele sans te reconnaitre; j'avais
|