res et
l'arrogance de M. Chaberton. Hein! si nous etions rejetes, toi dans ton
bureau, maman rue de l'Abreuvoir, moi a l'atelier.
--Veux-tu bien te taire!
--Pourquoi? Il n'y a rien d'effrayant a imaginer des catastrophes qui ne
peuvent pas nous atteindre; au contraire. Et nous pouvons nous moquer de
celle-la, je pense.
--Assurement.
--Quand meme tes travaux ne rendraient pas tout ce que tu attends
d'eux...
--Ils le rendront, et au dela de ce que j'ai annonce; l'experience de ce
que j'ai obtenu garantit ce que nous obtiendrons dans quelques annees.
--Quand meme nous en resterions ou nous sommes, nous n'avons rien a
craindre de la fortune; et j'espere bien que si je me marie...
--Comment! si tu te maries!
--J'espere bien que, si je me marie, tu prendras des precautions telles
que je ne puisse jamais retomber dans la misere.
--Sois tranquille.
--Je le suis; et c'est pour cela precisement que je ris de catastrophes
qui sont purement romanesques: malheureux, on aime les romans gais qui
finissent bien; heureux, les romans tristes.
VI
Une apres-midi qu'ils s'entretenaient ainsi a l'abri d'un bouquet de
saules dont les racines trempaient dans le Gave, tandis qu'autour d'eux
ca et la au caprice des amities, faneurs et faneuses goutaient, et que
les boeufs atteles aux chars sur lesquels on allait charger le foin
plongeaient goulument leur mufle dans l'herbe sechee, ils virent au
loin Manuel, accompagne d'une personne qu'ils ne reconnurent pas tout
d'abord, se diriger de leur cote a travers le pre tondu ras.
--Voila Manuel qui te cherche, dit Anie.
--Qui est avec lui?
--Costume gris, chapeau melon, ca ne dit rien; pourtant la demarche
ressemble a celle de M. d'Arjuzanx... c'est bien lui; comme maman en
rentrant va etre fachee de ne pas s'etre trouvee au chateau pour le
recevoir!
Quand le baron les apercut, il renvoya le valet de chambre et s'avanca
seul.
Anie s'etait levee.
--Tu ne t'en vas pas?
--Pourquoi m'en irais je?
--Pour que le baron ne te surprenne pas dans cette tenue.
--Crois-tu que si j'avais souci de ma tenue je travaillerais avec tes
faneurs?
Des brins de foin etaient accroches a ses cheveux ainsi qu'a sa blouse
de toile bleue; elle ne prit meme pas la peine de les enlever.
Quand les paroles de politesses eurent ete echangees avec le baron, tout
le monde se rassit sur l'herbe.
--Me pardonnez-vous de vous deranger ainsi? dit d'Arjuzanx.
--Mais vous ne
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