tu reconnais que tes transformations ne donnent pas ce que tu
attendais d'elles et que tu as peur de marcher a ta ruine. Il y a
longtemps que je m'en doute. Est-ce vrai?
--Ah! cela non, par exemple.
--Tu n'es pas en perte?
--Pas le moins du monde; les resultats que j'attendais sont depasses et
de beaucoup; ma comptabilite est la pour le prouver. Je ne suis qu'au
debut, et pourtant je puis affirmer, preuves en main, que les chiffres
que je vous ai donnes, c'est-a-dire un produit de trois cent mille
francs par an, sera facilement atteint le jour ou toutes les prairies
seront etablies et en plein rapport. Ce que j'ai realise jusqu'a ce jour
le demontre sans doutes et sans contestations possibles par des chiffres
clairs comme le jour, non en theorie, mais en pratique. Pour cela il ne
faudrait que trois ans... si je les avais.
--Comment, si tu les avais! s'ecria madame Barincq.
Il voulut corriger, expliquer ce mot maladroit qui avait echappe a sa
preoccupation.
--Qui est sur du lendemain?
--Tu te crois malade? dit-elle. Qu'as-tu? De quoi souffres-tu? Pourquoi
n'as-tu pas appele le medecin?
--Je ne souffre pas; je ne suis pas malade.
--Alors pourquoi t'inquietes-tu? C'est la plus grave des maladies de
s'imaginer qu'on est malade quand on ne l'est pas. Comment! tu nous fais
habiter la campagne parce que tu dois y trouver la sante et le repos, y
vivre d'une vie raisonnable comme tu dis; et nous n'y sommes pas
installes que te voila tourmente, sombre, hors de toi, sous le coup de
soucis et de malaises que tu ne veux pas, que tu ne peux pas expliquer!
Depuis que nous sommes maries tu m'as, pour notre malheur, habituee a
ces mines de desespere; mais au moins je les comprenais et je
m'associais a toi; quand tu luttais contre Sauval, quand tu peinais chez
Chaberton, je ne pouvais t'en vouloir de n'etre pas gai; tu aurais eu le
droit, si je t'avais fait des reproches, de me parler de tes inquietudes
du lendemain. Mais maintenant que tu reconnais toi-meme que tes affaires
sont dans une voie superbe, quand nous sommes debarrasses de tous nos
tracas, de toutes nos humiliations, quand nous avons repris notre rang,
quand nous n'avons plus qu'a nous laisser vivre, quand le present est
tranquille et l'avenir assure, enfin quand nous n'avons qu'a jouir de la
fortune, je trouve absurde de s'attrister sans raison... Parce qu'on
n'est pas sur du lendemain. Mais qui peut en etre sur, si ce n'est
nous? Il n'y a qu'un moyen de
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