Evidemment, ce testament etait celui que son frere avait depose au
notaire Rebenacq, et ensuite repris; la date le disait sans contestation
possible.
Pas d'hesitation, pas de doute sur ce point: a un certain moment, celui
qu'indiquait la date de ce testament, son frere avait voulu que le
capitaine fut son legataire universel; et il avait donne un corps a sa
volonte, ce papier ecrit de sa main.
Mais le voulait-il encore quelques mois plus tard? et le fait seul
d'avoir repris son testament au notaire n'indiquait-il pas un changement
de volonte?
Il avait un but en reprenant ce testament; lequel?
Le supprimer?
Le modifier?
Chercher en dehors de ces deux hypotheses paraissait inutile, c'etait a
l'une ou l'autre qu'on devait s'arreter; mais laquelle avait la
vraisemblance pour elle, la raison, la justice et la reunion de diverses
conditions d'ou pouvait jaillir un temoignage ou une preuve, il ne le
voyait pas en ce moment, trouble, bouleverse, jete hors de soi comme il
l'etait.
Et machinalement, sans trop savoir ce qu'il faisait, il examinait le
testament, et le relisait par passages, au hasard, comme si son ecriture
ou sa redaction devait lui donner une indication qu'il pourrait suivre.
Mais aucune lumiere ne se faisait dans son esprit, qui allait d'une idee
a une autre sans s'arreter a celle-ci plutot qu'a celle-la, et revenait
toujours au meme point d'interrogation: pourquoi, apres avoir confie son
testament a Rebenacq, son frere l'avait-il repris? et pourquoi, apres
l'avoir repris, ne l'avait-il pas detruit ou modifie?
Le temps marcha, et la cloche du diner vint le surprendre avant qu'il
eut trouve une reponse aux questions qui se heurtaient dans sa tete.
Il fallait descendre; il se composa un maintien pour que ni sa femme ni
sa fille ne vissent son trouble, car, malgre son desarroi d'idee, il
avait tres nettement conscience qu'il ne devait leur parler de rien
avant d'avoir une explication a leur donner.
Il remit donc le testament dans son tiroir, mais en le cachant entre les
feuillets d'un acte notarie, et il se rendit a la salle a manger, ou sa
femme et sa fille l'attendaient, surprises de son retard: c'etait, en
effet, l'habitude qu'il arrivat toujours le premier a table, autant
parce que, depuis son installation a Ourteau, il avait retrouve son bel
appetit de la vingtieme annee, que parce que les heures des repas
etaient pour lui les plus agreables de la journee, celles de la causerie
et de
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