lier le jarret et m'accroupir a terre
avec les autres. De retour a l'hotel, nous vimes arriver un huissier
d'armes du fils, comme nous avions vu du pere. On lui donna aussi de
l'argent, et au reste ces gens-la se contentent de peu.
A leur tour, le roi et son fils en'envoyerent a l'ambassadeur pour sa
depense; et c'est encore la une coutume. Le premier lui fit passer
cinquante aspres, le second trente. L'aspre est la monnoie du pays: il en
faut cinquante pour un ducat de Venise.
Je vis le roi traverser la ville en cavalcade. C'etoit un Vendredi jour de
fete pour eux, et il alloit faire sa priere. Sa garde etoit composee d'une
cinquantaine de cavaliers, la plupart ses esclaves, et d'environ trente
archers a pied qui l'entouroient. Il portoit une epee a sa ceinture et un
tabolcan a l'arcon de sa selle, selon l'usage du pays. Lui et son fils ont
ete baptises a la Grecque, pour oter le flair (la mauvaise odeur), et l'on
m'a dit meme que la mere de son fils etoit chretienne. Il en est ainsi de
tous les grands, ils se font baptiser afin qu'ils ne puent point.
Ses etats sont considerables; ils commencent a une journee en-de-ca de
Tarse; et vont jusqu'au pays d'Amurat-Bey, cet autre karman dont j'ai
parle, et que nous appelons le grand-Turc. Dans ce sens, leur largeur est,
dit-on, de vingt lieues au plus; mais ils ont seize journees de long, et je
le sais, moi qui les ai traversees. Au nord est, ils s'etendent, m'a-t-on
dit, jusqu'aux frontieres de Perse.
Le karman possede aussi une cote maritime qu'on nomme les Farsats. Elle se
prolonge depuis Tharse jusqu'a Courco, qui est au roi de Cypre, et a un
port nomme Zabari. Ce canton produit les meilleurs marins que l'on
connaisse; mais ils se sont revoltes contre lui.
Le karman est un beau prince, age de trente-deux ans, et qui a epouse la
soeur d'Amurat-Bey. Il est fort obei dans ses etats; cependant j'ai entendu
des gens qui disent de lui qu'il est tres-cruel, et qu'il passe peu de
jours sans faire couper des nes, des pieds, des mains, ou mourir quelqu'un.
Un homme est-il riche, il le condamne a mort pour s'emparer de ses biens;
et j'ai oui dire qu'il s'etoit ainsi defait des plus grands de son pays.
Huit jours avant mon arrivee il en avoit fait etrangler un par des chiens.
Deux jours apres cette execution il avoit fait mourir une de ses femmes, la
mere meme de son fils aine, qui, quand je le vis, ne savoit rien encore de
ce meurtre.
Les habitans de ce pays sont de mauva
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