qu'en debouchant des montagnes d'Armenie par de-la Eregli,
j'avois passe a demi-journee d'une ville celebre ou repose le corps de
saint Basile; il m'en parla meme de maniere a me donner envie de la voir.
Mais on me representa si bien ce que je perdois d'advantages en me separant
de la caravane, et ce que j'allois courir de risques en m'exposant seul,
que j'y renoncat.
Pour lui, il m'avoua que son dessein etoit de se rendre avec moi aupres de
monseigneur le duc; qu'il ne se sentoit nulle envie d'etre Sarrasin, et que
s'il avoit pris quelque engagement a ce sujet, c'etoit uniquement pour
eviter la mort. On vouloit le circoncire; il s'y attendoit chaque jour, et
le craignoit fort. C'est un fort bel homme, age de trente six ans.
Il me dit encore que les habitans font, dans leurs mosquees, des prieres
publiques, comme nous, dans les paroisses, nous en faisons tous les
dimanches pour les princes chretiens et pour autres objets dont nous
demandons a Dieu l'accomplissement. Or une des choses qu'ils lui demandent,
c'est de les preserver de la venue d'un homme tel que Godefroi de Bouillon.
Le chef de la caravane s'appretoit a repartir, et j'allai en consequence
prendre conge des ambassadeurs du roi de Cypre. Ils s'etoient flattes de
m'emmener avec eux, et ils renouvelerent leurs instances en m'assurant que
jamais je n'acheverois mon voyage; mais je persistai. Ce fut a Couhongue
que quitterent la caravane ceux qui la composoient. Hoyarbarach n'amenoit
avec lui que ses gens, sa femme, deux de ses enfans qu'il avoit conduits a
la Mecque, une ou deux femmes etrangeres, et moi.
Je dis adieu a mon mamelouck. Ce brave homme, qu'on appeloit Mahomet,
m'avoit rendu des services sans nombre. Il etoit tres-charitable, et
faisoit toujours l'aumone quand on la lui demandoit au nom de Dieu. C'etoit
par un motif de charite qu'il m'obligeoit, et j'avoue que sans lui je
n'eusse pu achever mon voyage qu'avec de tres-grandes peines, que souvent
j'aurois ete expose au froid et a la faim, et fort embarrasse pour mon
cheval.
En le quittant je cherchai a lui temoigner ma reconnoissance; mais il ne
voulut rien accepter qu'un couvre-chef de nos toiles fines d'Europe, et cet
objet parut lui faire grand plaisir. Il me raconta toutes les occasions
venues a sa connoissance, ou sans lui, j'aurois couru risque d'etre
assassine, et me prevint d'etre bien circonspect dans les liaisons que je
ferois avec les Sarrasins, parce qu'il s'en trouvoit parmi eux
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