tendre avec son armee a deux ou trois journees du lieu ou il se
propose de les combattre. Croit-il l'occasion favorable, il fond sur eux
tout-a-coup, et ils ont pour ces circonstances une sorte de marche qui leur
est propre. Le signal est donne par un gros tambour. Alors ceux qui doivent
etre en tete partent les premiers et sans bruit; les autres suivent de meme
en silence, sans que la file soit jamais interrompue, parce que les chevaux
et les hommes sont dresses a cet exercice. Dix mille Turcs, en pareil cas,
font moins de tapage que ne feroient cent hommes d'armes chretiens. Dans
leurs marches ordinaires, ils ne vont jamais qu'au pas; mais dans celles-ci
ils emploient le galop, et comme d'ailleurs ils sont armes legerement, ils
font du soir au matin autant de chemin qu'en trois de leurs journees
communes; et voila pourquoi ils ne pourroient porter d'armures completes,
ainsi que les Francais et les Italiens: aussi ne veulent-ils en chevaux que
ceux qui ont un grand pas ou qui galopent long-temps, tandis que nous il
nous les faut trottant bien et aises.
C'est par ces marches forcees qu'ils ont reussi, dans leurs differentes
guerres, a surprendre les chretiens et a les battre si completement; c'est
ainsi qu'ils ont vaincu le duc Jean, a qui Dieu veuille pardonner,
[Footnote: Jean, comte de Nevers, surnomme Sans-peur et fils de Philippe le
Hardi, duc de Bourgogne. Sigismond ayant forme une ligue pour arreter les
conquetes de Bajazet, notre roi Charles VI lui envoya un corps de troupes
dans lequel il y avoit deux mille gentilshommes, et qui etoit conduit par
le comte Jean. L'armee chretienne fut defaite a Nicopolis en 1396, et nos
Francais tues ou faits prisonniers. On sait qu'avant la bataille, pour se
debarrasser de captifs Turcs qu'ils avoient recus a rancon, ils eurent
l'indignite de les egorger, et qu'apres la victoire le sultan n'ayant
accorde la vie qu'aux principaux d'entre eux, il fit par represailles
massacrer devant eux leurs camarades. Jean, devenu duc de Bourgogne, fit
lachement assassiner dans Paris le duc d'Orleans, frere du roi. Il fut tue
a son tour par Tannegui du Chatel, ancien officier du duc. On voit par ces
faits que la Brocquiere avoit grande raison, en parlant de Jean, de
demander que Dieu lui pardonnat.] et l'empereur Sigismond, et tout
recemment encore cet empereur devant Coulumbach, ou perit messire Advis,
chevalier de Poulaine (Pologne).
Leur maniere de combattre varie selon les circonstances.
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