, et il demanda qu'on fit venir le marchand pour qui j'avois
une lettre. On alla le chercher. Il vint, et non seulement il m'offrit tous
ces services, mais il alla instruire monseigneur le duc Aubert, [Footnote:
Albert II, duc d'Autriche, depuis empereur, a la mort de Sigismond.]
cousin-germain de mondit seigneur qui aussitot depecha vers moi un
poursuivant, [Footnote: Poursuivant d'armes, sorte de heraut en usage dans
les cours des princes.] et peu apres messire Albrech de Potardof.
II n'y avoit pas encore deux heures que j'etois arrive quand je vis messire
Albrech descendre de cheval a la porte de mon logis, et me demander. Je me
crus perdu. Peu avant mon depart pour les saints lieux, moi et quelques
autres nous l'avions arrete entre Flandres et Brabant, parce que nous
l'avions cru sujet de Phederich d'Autriche, [Sidenote: Frederic, duc
d'Autriche, empereur apres Albert II.] qui avoit defie mondit seigneur; et
je ne doutai pas qu'il ne vint m'arreter a mon tour, et peut-etre faire pis
encore.
Il me dit que mondit seigneur d'Autriche, instruit que j'etois serviteur de
mondit seigneur le duc, l'envoyoit vers moi pour m'offrir tout ce qui
dependoit de lui; qu'il m'invitoit a le demander aussi hardiment que je le
ferois envers mondit seigneur, et qu'il vouloit traiter ses serviteurs
comme il feroit les siens meme. Messire Albrech parla ensuite en son nom:
il me presenta de l'argent, m'offrit des chevaux et autres objets; en un
mot il me rendit le bien pour le mal, quoiqu'apres tout cependant je
n'eusse fait envers lui que ce que l'honneur me permettoit et m'ordonnoit
meme de faire.
Deux jours apres, mondit seigneur d'Autriche m'envoya dire qu'il vouloit me
parler; et ce fut encore messire Albrech qui vint me prendre pour lui faire
la reverence. Je me presentai a lui au moment ou il sortoit de la messe,
accompagne de huit ou dix vieux chevaliers notables. A peine l'eus-je salue
qu'il me prit la main sans vouloir permetter que je lui parlasse a genoux.
Il me fit beaucoup de questions, et particulierement sur mondit seigneur;
ce qui me donna lieu de presumer qu'il l'aimoit tendrement.
C'etoit un homme d'assez grande taille et brun; mais doux et affable,
vaillant et liberal, et qui passoit pour avoir toutes sortes de bonnes
qualites. Parmi les personnes qui l'accompagnoient etoient quelques
seigneurs de Boheme que les Houls en avoient chasses parce qu'ils ne
vouloient pas etre de leur religion. [Footnote: Houls, Hussite
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