Voient-ils un lieu
et une occasion favorables pour attaquer, ils se divisent en plusieurs
pelotons, selon la force de leur troupe, et viennent ainsi assailir par
differens cotes. Ce moyen est surtout celui qu'ils emploient en pays de
bois et de montagnes, parce qu'ils ont l'art de se reunir sans peine.
D'autres fois ils se mettent en embuscade et envoient a la decouverte
quelques gens bien montes. Si le rapport est que l'ennemi n'est point sur
ses gardes, ils savent prendre leur parti sur-le-champ et tirer avantage
des circonstances. Le trouvent-ils en bonne ordonnance, ils voltigent
autour de l'armee a la portee du trait, caracollent ainsi en tirant sans
cesse aux hommes et aux chevaux, et le font si long-temps qu'enfin ils la
mettent en desordre. Si l'on veut les poursuivre et les chasser, il fuient,
et se dispersent chacun de leur cote, quand meme on ne leur opposeroit que
le quart de ce qu'ils sont; mais c'est dans leur fuite qu'ils sont
redoutables, et c'est presque toujours ainsi qu'ils ont deconfi les
chretiens. Tout en fuyant ils ont l'art de tirer de l'arc si adroitement
qu'ils ne manquent jamais d'atteindre le cavalier ou le cheval.
D'ailleurs chacun d'eux porte attache a l'arcon de sa selle un tabolcan. Si
le chef ou quelqu'un des officiers s'apercoit que l'ennemi qui poursuit est
en desordre, il frappe trois coups sur son instrument; chacun de son cote
et de loin en loin en fait autant: en un instant tous se rassemblent autour
du chef, "comme pourceaux au cry l'un de l'autre," et, selon les
circonstances, ils recoivent en bon ordre les assaillans ou fondent sur eux
par pelotons, on les attaquant de toutes parts.
Dans les batailles rangees ils emploient quelquefois une autre sorte de
stratageme, qui consiste a jeter des feux a travers les chevaux de la
cavalerie pour les epouvanter; souvent encore ils mettent en tete de leur
ligne un grand nombre de chameaux ou de dromadaires forts et hardis; ils
les chassent en avant sur les chevaux, et y jettent le desordre.
Telles sont les manieres de combattre que les Turcs ont jusqu'a present
mises en usage vis-a-vis des chretiens. Assurement je ne veux point en dire
du mal ni les deprecier; j'avouerai au contraire que, dans le commerce de
la vie, je les ai trouves francs et loyaux, et que dans les occasions ou il
falloit du courage ils se sont bien montres: mais cependant je n'en suis
pas moins convaincu que, pour des troupes bien montees et bien commandees,
ce se
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