On a deja
vu plus haut que par le mot Grece l'auteur entend les etats que les Turcs
possedoient en Europe.] ne sera pas une entreprise extremement difficile,
pourvu, je le repete, que l'armee fasse toujours corps, qu'elle ne se
divise jamais, et ne veuille point envoyer de pelotons a la poursuite de
l'ennemi. Si l'on me demande comment on aura des vivres, je dirai que la
Grece et la Rassie ont des rivieres navigables, et que la Bulgarie, la
Macedoine et les provinces Grecques sont fertiles.
En avancant ainsi toujours en masse, on forcera les Turcs a reculer, et il
faudra qu'ils choisissent entre deux extremites, comme je l'ai deja dit, ou
de repasser en Asie et d'abandonner leurs biens, leurs femmes et leurs
enfans, puisque le pays n'est point de defense, ainsi qu'on l'a pu voir par
la description que j'en ai donnee, ou de risquer une bataille, comme ils
l'ont fait toutes les fois qu'ils ont passe le Danube.
Je conclus qu'avec de bonnes troupes composees des trois nations que j'ai
nommees, Francais, Anglais et Allemands, on sera sur du succes, et que si
elles sont en nombre suffisant, bien unies et bien commandees, elles iront
par terre jusqu'a Jerusalem. Mais je reprends mon recit.
Je traversai le Danube a Belgrade. Il etoit en ce moment extraordinairement
gonfle, et pouvoit bien avoir douze milles de large. Jamais, de memoire
d'homme, on ne lui avoit vu une crue pareille. Ne pouvant me rendre a Boude
(Bude) par le droit chemin, j'allai a une ville champetre (un village)
nommee Pensey. De Pensey j'arrivai par la plaine la plus unie que je
connoisse, et apres avoir traverse en bac une riviere a Beurquerel, ville
qui appartient au despote de Rassie, et ou je passai deux autres rivieres
sur un pont. De Beurquerel je vins a Verchet, qui est egalement au despote,
et la je passai la Tiste (la Teisse), riviere large et profonde. Enfin je
me rendis a Segading (Segedin) sur la Tiste.
Dans toute la longueur de cette route, a l'exception de deux petits bois
qui etoient enclos d'un ruisseau, je n'ai pas vu un seul arbre. Les
habitans n'y brulent que de la paille ou des roseaux qu'ils ramassent le
long des rivieres ou dans leurs nombreux marecages. Ils mangent, au lieu de
pain, des gateaux tendres; mais ils n'en ont pas beaucoup a manger.
Segedin est une grande ville champetre, composee d'une seule rue qui m'a
paru avoir une lieue de longueur environ. Elle est dans un terroir fertile,
abondant en toutes sortes de denrees. O
|