roit chose peu difficile de les battre; et quant a moi je declare
qu'avec moitie moins de monde qu'eux je n'hesiterois pas a les attaquer.
Leurs armees, je le sais, sont ordinairement de cent a deux cent mille
hommes; mais la plupart sont a pied, et la plupart manquent, comme je l'ai
dit, de tarquais, de coiffe, de masse ou d'epee; fort peu ont une armure
complete.
D'ailleurs ils ont parmi eux un tres-grand nombre de chretiens qui servent
forcement: Grecs, Bulgares, Macedoniens, Albanois, Esclavons, Valaques,
Rasciens et autres sujets du despote de Rascie. Tous ces gens-la detestent
le Turc, parce qu'il les tient dans une dure servitude; et s'ils voyoient
marcher en forces contre lui les chretiens, et sur-tout les Francais, je ne
doute nullement qu'ils ne lui tournassent le dos et ne le grevassent
beaucoup.
Les Turcs ne sont donc ni aussi terribles, ni aussi formidables que je l'ai
entendu dire. J'avoue pourtant qu'il faudroit contre eux un general bien
obei, et qui voulut specialement prendre et suivre les avis de ceux qui
connoissent leur maniere de faire la guerre. C'est la faute que fit a
Coulumbach, m'a-t-on-dit, l'empereur Sigismond lorsqu'il fut battu par eux.
S'il avoit voulu ecouter les conseils qu'on lui donna, il n'eut point ete
oblige de lever honteusement le siege, puisqu'il y avoit vingt-cinq a
trente mille Hongrois. Ne vit-on pas deux cents arbaletriers Lombards et
Genois arreter seuls l'effort des ennemis, les contenir, et favoriser sa
retraite pendant qu'il s'embarquoit dans les galeres qu'il avoit sur le
Danube; tandis que six mille Valaques, qui, avec le chevalier Polonois dont
j'ai parle ci-dessus, s'etoient mis a l'ecart sur une petite hauteur,
furent tous tailles en pieces?
Je ne dis rien sur tout ceci que je n'aie vu ou entendu. Ainsi donc, dans
le cas ou quelque prince ou general chretien voudroit entreprendre la
conquete de la Grece ou meme penetrer plus avant, je crois que je puis lui
donner des renseignemens utiles. Au reste je vais parler selon mes
facultes; et s'il m'echappoit chose qui deplut a quelqu'un, je prie qu'on
m'excuse et qu'on la regarde comme nulle.
Le souverain qui formeroit un pareil projet devroit d'abord se proposer
pour but, non la gloire et la renommee, mais Dieu, la religion, et le salut
de tant d'ames qui sont dans la voie de perdition. Il faudroit qu'il fut
bien assure d'avance du paiement de ses troupes, et qu'il n'eut que des
corps bien fames, de bonne volonte
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