'arbousier.]
Du haut de la montagne on voit le golfe de Galipoly. Quand on l'a descendu
on entre dans une vallee terminee par un tres-grand lac, autour duquel sont
construites beaucoup de maisons. C'est la que j'ai vu pour la premiere fois
faire des tapis de Turquie. Je passai la nuit dans la vallee. Elle produit
beaucoup de riz.
Au-dela on trouve, tantot un pays de montagnes et de vallees, tantot un
pays d'herbages, puis une haute foret qu'il seroit impossible de traverser
sans guide, et ou les chevaux enfoncent si fort qu'ils ont grande peine a
s'en tirer. Pour moi je crois que c'est celle dont il est parle dans
l'histoire de Godefroi de Bouillon, et qu'il eut tant de difficulte a
traverser.
Je passai la nuit par-dela, dans un village qui est a quatre lieues en-deca
de Nichomede (Nichomedie). Nichomedie est une grande ville avec havre. Ce
havre, appele le Lenguo, part du golfe de Constantinople et s'etend jusqu'a
la ville, ou il a de largeur un trait d'arc. Tout ce pays est d'un passage
tres-difficultueux.
Par-dela Nicomedie, en tirant vers Constantinople, il devient tres-beau et
assez bon. La on trouve plus de Grecs que de Turcs; mais ces Grecs ont pour
les chretiens (pour les Latins) plus d'aversion encore que les Turcs
eux-memes.
Je cotoyai le golfe de Constantinople, et laissant le chemin de Nique
(Nicee), ville situee au nord, pres de la mer Noire, je vins loger
successivement dans un village en ruine, et qui n'a pour habitans que des
Grecs; puis dans un autre pres de Scutari; enfin a Scutari meme, sur le
detroit, vis-a-vis de Pera.
La sont des Turcs auxquels il faut payer un droit, et qui gardent le
passage. Il y a des roches qui le rendroient tres-aise a defendre si on
vouloit le fortifier. Hommes et chevaux peuvent s'y embarquer et debarquer
aisement. Nous passames, mes compagnons et moi, sur deux vaisseaux Grecs.
Ceux a qui appartenoit celui que je montois me prirent pour Turc, et me
rendirent de grands honneurs. Mais quand ils m'eurent descendu a terre, et
qu'ils me virent, en entrant dans Pera, laisser a la porte mon cheval en
garde, et demander un marchand Genois nomme Christophe Parvesin, pour qui
j'avois des lettres, ils se douterent que j'etois chretien. Deux d'entre
eux alors m'attendirent a la porte, et quand je vins y reprendre mon cheval
ils me demanderent plus que ce que j'etois convenu de leur donner pour mon
passage, et voulurent me ranconner. Je crois meme qu'ils m'auroient battu
|