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par-dela Nissa de cotoyer la riviere; et le pays, toujours egalement beau,
est bien garni de villages. Enfin je la passai a un bac, ou je
l'abandonnai. Alors commencerent des montagnes. J'eus a traverser une
longue foret fangeuse, et, apres dix journees de marche depuis Andrinople,
j'arrivai a Corsebech, petite ville a un mille de la Morane (Morave.)
La Morave est une grosse riviere qui vient de Bosnie. Elle, separe la
Bulgarie d'avec la Rascie ou Servie, province qui porte egalement ces deux
noms, et que le Turc a conquise depuis six ans.
Pour Corsebech, il avoit un petit chateau qu'on a detruit. Il a encore une
double enceinte de murs; mais on en a demoli la partie superieure
jusqu'au-dessous des creneaux.
J'y trouvai Cenamin-Bay, capitaine (commandant) de ce vaste pays frontiere,
qui s'etend depuis la Valaquie jusqu'en Esclavonie. Il passe dans la ville
une partie de l'annee. On m'a dit qu'il etoit ne Grec, qu'il ne boit point
de vin, comme les autres Turcs, et que c'est un homme sage et vaillant, qui
s'est fait craindre et obeir. Le Turc lui a confie le commandement de cette
contree, et il en possede en seigneurie la plus grande partie. Il ne laisse
passer la riviere qu'a ceux qu'il connoit, a moins qu'ils ne soient
porteurs d'une lettre du maitre, ou, en son absence, du seigneur de la
Grece.
Nous vimes la une belle personne, genti-femme du royaume de Hongrie, dont
la situation nous inspira bien de la pitie. Un renegat Hongrois, homme du
plus bas etat, l'avoit enlevee dans une course, et il en usoit comme de sa
femme. Quand elle nous apercut elle fondit en larmes; car elle n'avoit pas
encore renonce a sa religion.
Au sortir de Corsebech, je traversai la Morave a un bac, et j'entrai sur
les terres du despote de Rassie ou de Servie, pays beau et peuple. Ce qui
est en-deca de la riviere lui appartient, ce qui se trouve au-dela est au
Turc; mais le despote lui paie annuellement cinquante mille ducats de
tribut.
Celui-ci possede sur la riviere et aux confins communs de Bulgarie,
d'Esclavonie, d'Albanie et de Bosnie, une ville nommee Nyeuberge, qui a une
mine portant or et argent tout a la fois. Chaque annee elle lui donne plus
de deux cent mille ducats, m'ont dit gens qui sont bien instruits: sans
cela il ne seroit pas longtemps a etre chasse de son pays.
Sur ma route je passai pres du chateau d'Escalache, qui lui appartenoit.
C'etoit une forte place, sur la pointe d'une montagne au pied de laquelle
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