ur la piece. Et voila pourquoi la
Brocquiere, parlant de l'embouchure du canon, emploie cette expression,
"dedens ou LA PIERRE entre."]
Le capitaine (commandant) de la place etoit messire Mathico, chevalier de
Aragouse (d'Arragon), et il avoit pour lieutenant un sien frere, qu'on
appeloit le seigneur frere.
Sur le Danube, deux journees au-dessous de Belgrade, le Turc possede ce
chateau de Coulombach, qu'il a pris au despote. C'est encore une forte
place, dit-on, quoique cependant il soit aise de l'attaquer avec de
l'artillerie et de lui fermer tout secours; ce-qui est un grand
desavantage. Il y entretient cent fustes pour passer en Hongrie quand il
lui plait. Le capitaine du lieu est ce Ceynam-Bay dont j'ai parle
ci-devant.
Sur le Danube encore, mais a l'opposite de Belgrade, et dans la Hongrie, le
despote possede egalement une ville avec chateau. Elle lui a ete donnee par
l'empereur, [Footnote: Sigismond, roi de Boheme et de Hongrie. On pretend
que Sigismond ne les donna qu'en echange de Belgrade.] avec plusieurs
autres, qui lui font un revenu de cinquante mille ducats, et c'etoit a
condition qu'il deviendroit son homme [Footnote: Deviendroit son homme.
Cette expression de la feodalite du temps indique l'obligation du service
militaire et de la fidelite que le vassel devoit a son suzerain.] mais il
obeit plus au Turc qu'a l'empereur.
Deux jours apres mon arrivee dans Belgrade j'y vis entrer vingt-cinq hommes
armes a la maniere du pays, que le gouverneur comte Mathico y faisoit venir
pour demeurer en garnison. On me dit que c'etoient des Allemands pour
garder la place, tandis qu'on avoit si pres des Hongrois, et des Serviens.
On me repondit que les Serviens, etant sujets et tributaires du Turc, on se
garderoit bien de la leur confier; et que quant aux Hongrois, ils le
redoutoient tant que s'il paroissoit, ils n'oseroient la defendre contre
lui, quelque forte qu'elle fut. Il falloit donc y appeler des etrangers; et
cette mesure devenoit d'autant plus necessaire que c'etoit la seule place
que l'empereur possedat pour passer sur l'autre rive du Danube, ou pour le
repasser en cas de besoin.
Ce discours m'etonna beaucoup; il me fit faire des reflexions sur l'etrange
sujettion ou le Turc tient la Macedoine et la Bulgarie, l'empereur de
Constantinople et les Grecs, le despote de Rascie et ses sujets. Cette
dependance me parut chose lamentable pour la chretiente. Et comme j'ai vecu
avec les Turcs, que je connois leur
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