elle personne. Cependant, comme je ne pouvois la voir que de loin, je
voulus la considerer de plus pres: d'ailleurs j'etois curieux de savoir
comment elle montoit a cheval; car elle etoit venue ainsi a l'eglise,
accompagnee seulement de deux dames, de trois vieillards, ministres d'etat,
et de trois de ces hommes a qui les Turcs confient la garde de leurs femmes
(trois eunuques). Au sortir de Sainte-Sophie elle entra dans un hotel
voisin pour y diner; ce qui m'obligea d'attendre la qu'elle sortit, et par
consequent de passer toute la journee sans boire ni manger.
Elle parut enfin. On lui apporta un banc sur lequel elle monta. On fit
approcher du banc son cheval, qui etoit superbe et couvert d'une selle
magnifique. Alors un des veillards prit le long manteau qu'elle portoit, et
passa de l'autre cote du cheval, en le tenant etendu sur ses mains aussi
haut qu'il pouvoit. Pendent ce temps elle mit le pied sur l'etrier, elle
enfourcha le cheval comme le font les hommes, et des qu'elle fut en selle
le vieillard lui jeta le manteau sur les epaules; apres quoi il lui donna
un de ces chapeaux longs, a pointe, usites en Grece, et vers l'extremite
duquel etoient trois plumes d'or qui lui seyoient tres-bien.
J'etois si pres d'elle qu'on me dit de m'eloigner: ainsi je pus la voir
parfaitement. Elle avoit aux oreilles un fermail (anneau) large et plat,
orne de plusieurs pierres precieuses, et particulierement de rubis. Elle me
parut jeune, blanche, et plus belle encore que dans l'eglise; en un mot, je
n'y eusse trouve rien a redire si son visage n'avoit ete peint, et
assurement elle n'en avoit pas besoin.
Les deux dames monterent a cheval en meme temps qu'elle; elles etoient
belles aussi, et portoient comme elle manteau et chapeau. La troupe
retourna au palais de la Blaquerne.
Au devant de Sainte Sophie est une belle et immense place, entouree de murs
comme un palais, et ou jadis on faisoit des jeux. [Footnote: L'hippodrome
Grec, aujourd'hui l'atmeidan des Turcs.] J'y vis le frere de l'empereur,
despote de Moree, s'exercer avec une vingtaine d'autres cavaliers. Chacun
d'eux avoit un arc: ils couroient a cheval le long de l'enceinte, jetoient
leurs chapeaux en avant; puis, quand ils l'avoient depasse, ils tiroient
par derriere, comme pour le percer, et celui d'entre eux dont la fleche
atteignoit le chapeau de plus pres etoit repute le plus habile. C'est-la un
exercice qu'ils ont adopte des Turcs, et c'est un de ceux auxquels ils
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