e fachai beaucoup. Mais il y avoit la un esclave Turc,
l'un de ceux du fils aine, homme de poids et d'environ cinquante ans, qui,
m'entendant et voyant que je ne parlois pas bien la langue, me prit par la
main et me conduisit a la porte du caravanserai. La il me demanda en
Italien qui j'etois. Je fus stupefait d'entendre ce langage dans sa bouche.
Je repondis que j'etois Franc. "D'ou venez-vous? ajouta-t-il.--De Damas,
dans la compagnie d'Hoyarbarach, et je vais a Bourse retrouver un de mes
freres.--Eh bien, vous etes un espion, et vous venez chercher ici des
renseignemens sur le pays. Si vous ne l'etiez pas, n'auriez-vous pas du
prendre la mer pou; retourner chez vous?"
Cette inculpation a laquelle je ne m'attendois pas m'interdit; je repondis
cependant que les Venitiens et les Genois se faisoient sur mer une guerre
si acharnee que je n'osois m'y risquer. Il me demanda d'ou j'etois. Du
royaume de France, repartis-je. Etes-vous des environs de Paris? reprit il.
Je dis que non, et je lui demandai a mon tour s'il connoissoit Paris. Il me
repondit qu'il y avoit ete autrefois avec un capitaine nomme Bernabo.
"Croyez-moi, ajouta-t-il, allez dans le caravanserai chercher votre cheval,
et amenez-le moi ici; car il y a la des esclaves Albaniens qui acheveroient
de vous prendre ce qu'il porte encore. Tandis que je le garderai, vous irez
dejeuner, et vous ferez pour vous et pour lui une provision de cinq jours,
parce que vous serez cinq journees sans rien trouver."
Je profitai du conseil; j'allai m'approvisionner, et je dejeunai avec
d'autant plus de plaisir que depuis deux jours je n'avois goute viande, et
que je courois risque de n'en point tater encore pendant cinq jours.
Sorti du caravanserai, je pris le chemin de Bourse, et laissai a gauche,
entre l'occident et le midi, celui de Troie-la-Grant. [Footnote: L'auteur,
en donnant ici a la fameuse Troie la denomination de grande, ne fait que
suivre l'usage de son siecle. La historiens et les romanciers du temps la
designoient toujours ainsi, "histoire de Troye-la-Grant," "destruction de
Troie-la-Grant," etc.] Il y a d'assez hautes montagnes, et j'en eus
plusieurs a passer. J'eus aussi deux journees de forets, apres quoi je
traversai une belle plaine dans laquelle il y a quelques villages assez
bons pour le pays. A demi-journee de Bourse il en est un ou nous trouvames
de la viande et du raisin; ce raisin etoit aussi frais qu'au temps des
vendanges: ils savent le garder ainsi to
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