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pensees et accablee sous le poids de son emotion.
C'etait fini, elle ne le verrait plus. Aimant et n'ayant pas ete aimee,
elle n'aurait pas dans toute sa vie le souvenir d'une journee d'amour et
de bonheur, et elle avait dix-neuf ans.
Derriere elle, rien; devant elle, rien que l'inconnu.
Quand elle s'eveilla, son plan etait trace.
Ordinairement on la laissait seule le matin dans l'appartement de la rue
de Rivoli; elle profiterait de ce moment, et, apres avoir eloigne les
domestiques sous un pretexte quelconque, elle irait elle-meme chercher
un fiacre sur lequel elle ferait charger ses malles par un
commissionnaire.
Les choses s'arrangerent a souhait pour le succes de son dessein: la
cuisiniere etait sortie pour aller a la halle, elle envoya en course le
valet de chambre ainsi que la femme de chambre, et alors elle put aller
chercher son fiacre et son commissionnaire.
Lorsque le commissionnaire fut sorti, emportant sur son dos la derniere
caisse, Madeleine resta un moment immobile au milieu de cette chambre ou
elle avait cru que s'ecoulerait sa vie, ou elle etait restee si peu de
temps.
Elle alla s'agenouiller devant le portrait de Leon, comme dans la nuit
ou il lui avait parle, et, l'ayant embrasse, elle s'enfuit sans se
retourner: le bruit de la porte qu'elle tira pour la fermer lui ecrasa
le coeur, et en descendant l'escalier elle fut obligee de s'appuyer sur
la rampe.
Elle se fit conduire a la gare Saint-Lazare, ou elle prit un billet pour
Argenteuil. A Argenteuil, elle descendit du train et se promena pendant
une demi-heure. Puis, revenant au chemin de fer, elle prit un billet
pour Paris (gare du Nord), ou elle arriva deux heures apres avoir quitte
Paris (gare de l'ouest). Si on la cherchait, il y avait bien des chances
pour qu'on ne devinat pas cet itineraire; on la croirait plutot partie
pour Rouen.
Arrivee a la gare du Nord, elle y laissa ses bagages, se proposant de
venir les prendre quand elle aurait un logement, et tout de suite elle
se mit en route, mais a pied, pour les Batignolles, ou elle voulait
chercher ce logement. C'etait la premiere fois qu'elle sortait seule
dans les rues de Paris; mais ce qui l'eut assez vivement troublee
quelques jours auparavant ne pouvait plus l'inquieter ou l'emouvoir;
elle avait maintenant bien d'autres dangers a braver, et de plus
serieux.
Si elle avait ete libre, elle aurait pris une chambre dans une maison
meublee ou dans une pension bourgeoise, ce
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