la repulsion ou la pitie, selon
qu'on etait dur ou compatissant aux infortunes d'autrui.
Si Cara avait pris et conservait chez elle une pauvre fille que la
petite verole avait defiguree, ce n'etait point par un sentiment de
prudente jalousie ou pour avoir a ses cotes un repoussoir donnant toute
sa valeur a son teint blanc, veloute, vraiment superbe, qui pour le
grain de la peau (la pate comme diraient les peintres), rappelait les
petales du camellia. Elle n'avait pas de ces petitesses et de ces
precautions, sachant bien ce qu'elle etait, et connaissant sa puissance
mieux que personne pour l'avoir mainte fois exercee et eprouvee jusqu'a
l'extreme.
Si elle avait accepte pour femme de chambre cette fille laide, ca avait
ete par pitie, par sentiment familial et aussi par interet. Louise en
effet etait sa cousine et elles avaient ete elevees ensemble; mais
tandis qu'Hortense se rendait a Paris pour y devenir Cara, Louise
restait dans son village pour y travailler et y gagner honnetement sa
vie comme couturiere. Par malheur, au moment ou Louise allait se marier
avec un garcon qu'elle aimait depuis quatre ans, elle avait eu la petite
verole qui l'avait si bien defiguree, que lorsqu'elle avait ete guerie,
son fiance n'avait plus voulu d'elle et qu'il avait epouse une autre
jeune fille, bien que celle qu'il abandonnait fut enceinte de cinq mois.
Louise avait alors quitte son village, ou elle etait devenue un objet de
risee et de moquerie pour tous, et elle etait arrivee aupres de sa
cousine Hortense, a ce moment maitresse en titre du duc de
Carami,--c'est-a-dire une puissance.
Si la misere et les hontes des annees de jeunesse avaient trempe le
coeur de Cara pour le durcir comme l'acier, elles ne l'avaient pas
pourtant ferme aux sentiments de la famille: Louise etait sa camarade,
son amie d'enfance; pour cela elle l'avait accueillie, lui avait fait
apprendre a coiffer, a habiller, a servir a table, et apres avoir paye
ses couches et envoye son enfant en nourrice en se chargeant de toutes
les depenses, elle l'avait prise pour femme de chambre.
Femme de chambre devant les etrangers, attentive, polie et
respectueuse, Louise redevenait la camarade d'enfance et l'amie,
lorsqu'elle etait en tete a tete avec sa maitresse, en realite sa
cousine, et une amie devouee, une sorte d'associee qui avait son
franc-parler pour conseiller, blamer ou approuver librement, sans
menagements, comme si elle soutenait ses propres interets.
Ce
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