leur defile. Et vous haussiez les epaules
encore quand vous le preniez a lire ces journaux ou ces romans qui ont
la pretention d'etre l'expression du _high-life_ parisien. Il ne vous
faisait point part de ses idees, bien entendu, mais avec moi il
regimbait quand je me moquais de lui, et j'ai pu juger alors combien
etait vive sa curiosite de savoir quelle etait cette existence qui
l'attirait et le fascinait. Pour moi c'est un miracle que jusqu'a ce
jour il n'ait pas fait de grosses folies, et je ne m'explique sa sagesse
que par la nullite ou la sottise des femmes qui n'auront pas su le
prendre et le retenir. Mais Cara n'est pas de ces femmes: elle n'est pas
nulle, elle n'est pas sotte.
--Qu'est-elle, donc? C'est pour que vous me le disiez que je vous parle
d'elle, ou tout au moins pour que vous me disiez ce que vous en savez.
--Cara, que dans son monde on appelle Carafon, Caramel, Carabosse,
Caravane, Carapace et surtout Caravanserail,--ce qui, eu egard a ses
moeurs hospitalieres, est une sorte de qualificatif parfaitement
justifie,--Cara, de son vrai nom, est mademoiselle Hortense Binoche, nee
a Montlignon, dans la vallee de Montmorency, de parents pauvres et peu
honnetes. Son enfance ne fut pas trop malheureuse, car a neuf ans elle
seduisit par sa gentillesse,--vous voyez qu'elle a commence de bonne
heure,--une vieille dame riche qui la fit elever dans un couvent.
Malheureusement, la vieille dame mourut, et alors commenca pour la jeune
fille une existence de misere horrible. On la retrouve au bout de
quelques annees la maitresse du duc de Carami. C'est le temps de sa
splendeur. Elle tue le duc ou il se tue tout seul, ce dont d'ailleurs il
etait bien capable, et par son testament il laisse une partie de ce qui
restait de sa fortune a sa maitresse. Le testament est attaque pour
captation, et c'est Nicolas qui plaide contre Cara. Vous savez quelle
est la maniere de plaider de Nicolas, quel est son systeme de
personnalites et d'injures; il a forme son dossier avec des notes qui
lui ont ete fournies par la prefecture de police, il lit ces notes et
montre ce qu'a ete Cara depuis l'age de treize ans, c'est-a-dire depuis
son arrivee a Paris. Jamais requisitoire n'a ete plus ecrasant, et ce
qui lui donne un caractere de cruaute reelle, c'est la presence de Cara
a l'audience. Quand Nicolas se tait, elle se leve et s'avance a la barre
dans sa toilette de deuil de veuve, simple, chaste cependant elegante.
Elle demande a donner
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