Elle s'arreta, la voix voilee par l'emotion; mais apres quelques minutes
elle continua:
--Le duc par son testament lui avait laisse une grosse part de ce qui
restait de sa fortune. Ce testament fut attaque par la duchesse de
Carami, remariee a cinquante-trois ans avec un jeune homme de trente
ans, et il fut casse par la justice pour captation. Vous avez du
entendre parler de ce proces, qui a ete presque une cause celebre, je ne
vous en dirai donc rien qu'une seule chose: il avait, cela se concoit de
reste, appele l'attention sur Hortense, et si elle avait voulu donner
des successeurs au duc, elle n'aurait eu qu'a faire son choix parmi les
plus illustres et les plus riches. Mais elle voulait etre fidele au
souvenir et au culte de celui qu'elle avait adore, et dont elle se
considerait comme la veuve. Cependant la misere etait devant elle, car
ce proces l'avait ruinee, et elle avait une peur effroyable de la
misere, la peur de ceux qui l'ont connue dans ce qu'elle a de plus
hideux. Parmi ceux qui la pressaient se trouvait un riche financier,
Salzondo, cet Espagnol dont tout Paris a connu la vanite folle et les
pretentions, et qui, portant perruque sur une tete nue comme un genou,
se faisait chaque matin ostensiblement couper quelques meches de sa
perruque chez le coiffeur le plus en vue du boulevard, pour qu'on crut
qu'il avait des cheveux. Salzondo ne demandait a sa maitresse qu'une
seule chose, qui etait qu'elle fit croire et fit dire qu'il avait une
maitresse, comme ses perruques faisaient croire qu'il avait des cheveux,
quand, en realite, il n'avait pas plus de maitresse que de cheveux.
Hortense accepta ce marche, qui n'etait pas bien honorable, j'en
conviens, mais qui, pour elle, valait encore mieux que la misere, et
pendant plusieurs annees, le tout Paris dont se preoccupait tant
Salzondo put croire que celui-ci avait une maitresse. C'est la un fait
bizarre, n'est-ce pas? et cependant il est rigoureusement vrai, ces
choses-la ne s'inventent pas.
Sans repondre, Leon inclina la tete par un mouvement qui pouvait passer
pour un acquiescement.
--Encore un mot, continua Cara, et j'aurai fini. Au bout de quelques
annees, Hortense se lassa de ce jeu ridicule. Depuis longtemps elle
aspirait a une vie reguliere, sa reputation la suffoquait, et le milieu
dans lequel elle brillait lui inspirait le plus profond degout. Elle
crut avoir trouve dans un homme intelligent, plein d'ardeur pour le
travail, ambitieux, un mari qui
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