n defaut; il buvait, et l'argent qu'il gagnait s'en
allait, pour une bonne part, sur les comptoirs en zinc des marchands de
vin. Il ne lachait son argent a la maison que quand on le lui arrachait;
et pour obtenir cela les enfants jouaient, de bonne foi et avec une
terrible conviction, je vous assure, ce qu'on peut appeler "le drame de
la faim"; quand il rentrait les jours de paye, ils l'entouraient et se
mettaient a pleurer en criant: "J'ai faim". Et ils criaient cela
d'autant mieux que c'etait vrai.
Cependant Hortense grandit et devint jolie, car ce n'est pas le
bien-etre qui donne la beaute, ni la sante, heureusement. Elle poussa et
se developpa en liberte a courir les champs et les bois, se nourrissant
surtout de bon air, ce qui, parait-il, est plus nutritif qu'on ne le
croit generalement.
Comme elle atteignait ses neuf ans, sans qu'il fut question de l'envoyer
a l'ecole comme vous le pensez bien, une vieille dame riche, a qui elle
portait des fraises des bois dans l'ete, et dans l'hiver des branches de
houx ou de fragons garnies de leurs fruits rouges, se prit de pitie pour
sa gentillesse, et l'envoya dans un couvent a Pontoise, promettant de se
charger de son instruction et plus tard de son avenir.
Ce fut le beau temps, le bon temps d'Hortense, qui ne se plaignit pas,
comme beaucoup de ses camarades, de la mauvaise nourriture du couvent.
Elle ne se plaignit pas davantage du travail, et bien vite elle devint
la meilleure eleve de sa classe.
Mais cette vie heureuse ne pouvait pas durer, la vieille dame riche
mourut sans avoir pense a Hortense dans son testament, et, comme ses
heritiers n'etaient pas disposes a se charger de cette petite fille
qu'ils ne connaissaient pas, une des soeurs la ramena chez sa mere a
Montlignon. Elle avait alors treize ans et quelques mois.
La question qu'elle se posait en revenant etait de savoir a quoi on
allait l'employer lorsqu'elle serait rentree dans la maison maternelle,
car une enfance comme celle qu'elle avait eue rend l'esprit pratique et
prevoyant.
Cette question fut vite resolue.--Te voila, dit sa mere en la voyant
entrer.--Oui, je viens pour rester avec vous.--Rester, tu n'y pense pas;
pour que le pere fasse de toi ce qu'il a fait de l'ainee, jamais; tu vas
t'en aller, et tout de suite.--Ou,--N'importe ou, fut-ce en enfer, tu
serais mieux qu'ici: sauve-toi, malheureuse.
Si une enfant de treize ans ne comprenait pas toutes ces paroles, elle
en comprenait le ton et
|