personne.
En arrivant a sa place elle tendit la main a Henri Clergeau et adressa a
Leon une gracieuse inclination de tete.
--Est-ce qu'il n'y a pas indiscretion de ma part a accepter votre place?
dit-elle.
--Pas du tout; ces deux places etaient louees pour nos paletots et
surtout pour ne pas avoir devant nous des gens genants; vous voyez que
vous pouvez accepter sans scrupule.
Elle parlait doucement, posement, en s'adressant tout autant a Henri
Clergeau qu'a Leon, et cependant c'etait la premiere fois qu'elle se
trouvait avec celui-ci; elle le connaissait de vue et de nom comme
lui-meme la connaissait, mais sans qu'une parole eut jamais ete echangee
entre eux.
Leon remarqua que le timbre de sa voix etait harmonieux et doux; il fut
frappe aussi de la reserve de ses manieres, de la correction de ses
gestes, de la limpidite de son regard.
Pendant qu'il l'examinait, elle continuait a s'entretenir avec Henri
Clergeau, et elle le faisait sans eclats de voix, sans rires forces,
convenablement, decemment, comme une femme du monde.
Cependant, la premiere partie du programme avait ete remplie, et l'on
s'occupait a dresser un immense filet au-dessus de l'arene et a le bien
raidir de facon a attenuer le danger des chutes pour les gymnastes.
Cela avait amene tout naturellement la conversation sur Otto, et Leon
remarqua que Cara montrait une complete indifference sur la question de
savoir si Zabette etait ou n'etait pas une femme, question qui a ce
moment meme passionnait tant de curiosites feminines et meme masculines,
et faisait a l'avance preparer tant de lorgnettes.
Cara parlait d'Otto avec un mepris qu'elle ne prenait pas la peine de
dissimuler.
--Vous ne l'aimez pas, dit Leon.
--J'avoue que je le deteste; il a tue une de mes amies, cette pauvre
Emma Lajolais, qu'il a ruinee et martyrisee[1]. Ah! c'est un grand
malheur pour une femme de se laisser prendre par l'amour.
[Note 1: Voir la _Fille de la Comedienne_.]
--Cette maxime n'est pas consolante, dit Henri Clergeau.
--J'entends un amour pour un homme qui n'est pas digne de l'inspirer, un
etre vil, bas et grossier comme Otto; mais si celui qui inspire cet
amour est un coeur loyal et bon, un esprit distingue, un caractere
honnete, quoi de meilleur au contraire que d'aimer et d'etre aimee?
Toute la vie ne tient-elle pas dans une heure d'amour?
--C'est bien court, une heure, dit Henri Clergeau en riant.
--Il y a tant de gens qui n'ont point eu
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