dais. J'allais pouvoir parler, j'allais
savoir. Jamais mon coeur n'avait battu si fort, meme lorsque j'ai charge
les Kabyles pour mon debut.
Lors de mon premier dejeuner a Cassis, Clotilde, voyant son pere
endormi, m'avait propose une promenade au jardin. En serait-il de meme
cette fois? J'attendis. Puis, voyant qu'elle restait assise devant son
piano, sans jouer, je lui demandai si elle ne voulait pas venir dans le
jardin.
Alors, elle se tourna vers moi, et me regardant en face, elle me dit a
voix basse:
--Restons pres de mon pere.
--Mais j'ai a vous parler; il faut que je vous parle; je vous en
supplie.
--Et moi, dit-elle, je vous supplie de ne pas insister, car il ne faut
pas que je vous ecoute.
--Vous m'ecoutiez l'autre jour.
--C'est un bonheur que vous ayez ete interrompu, et si vous ne l'aviez
pas ete, je vous aurais demande, comme je vous demande aujourd'hui, de
n'en pas dire davantage.
--Eh quoi, c'etait la ce que vos regards disaient?
Elle garda un moment le silence; mais bientot elle reprit d'une voix
etouffee:
--A votre tour, ecoutez-moi; maintenant que vous connaissez les idees de
mon pere, croyez-vous qu'il ecouterait ce que vous voulez me dire?
Je la regardai stupefait et ne repondis point.
--Si vous le croyez, dit-elle en continuant, parlez et je vous ecoute;
si, au contraire, vous ne le croyez pas, epargnez-moi des paroles qui
seraient un outrage.
Le mauvais de ma nature est de toujours faire des plans d'avance, et
quand je prevois que je me trouverai dans une situation difficile de
chercher les moyens pour en sortir. Cela me rend quelquefois service
mais le plus souvent me laisse dans l'embarras, car il est bien rare
dans la vie que les choses s'arrangent comme nous les avons disposees.
Ce fut ce qui m'arriva dans cette circonstance. J'avais prevu que
Clotilde refuserait de venir dans le jardin et de m'ecouter, j'avais
prevu qu'elle y viendrait et me laisserait parler; mais je n'avais pas
du tout prevu cette reponse. Aussi je restai un moment interdit, ne
comprenant meme pas tres-bien ce qu'elle m'avait dit, tant ma pensee
etait eloignee de cette conclusion.
Mais, apres quelques secondes d'attention, la lumiere se fit dans mon
esprit.
--Vous me defendez cette maison! m'ecriai-je sans moderer ma voix et
oubliant que le general dormait.
--Voulez-vous donc eveiller mon pere?
En effet, le general s'agita sur son fauteuil.
Clotilde aussitot se remit a son piano, et
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