campagnes de la
Provence: les plantes surprises dans leur eclosion garderont pour toute
leur vie la marque de ses brulures; sur leurs rameaux reverdis il
poussera de nouvelles feuilles, il s'epanouira d'autres fleurs, ce ne
seront point celles qui ont ete dessechees dans leur bouton.
Et j'allais m'asseoir pres de cet homme; il me parlerait; je devrais lui
repondre.
Sous peine de me voir fermer la maison dont la porte s'ouvrait devant
moi, il me faudrait arranger mes reponses au gre du general, au gre meme
de Clotilde, qui partageait les idees de son pere, ou qui tout au moins
voulait qu'on ne les contrariat point.
La situation etait delicate, difficile, et, quoi qu'il advint, elle
serait pour moi douloureuse. Ce ne fut donc pas le coeur joyeux et
l'esprit tranquille que le dimanche matin je me mis en route pour
Cassis.
Le general me recut comme si j'etais son ami depuis dix ans; quand
j'entrai dans le salon il quitta son fauteuil pour venir au-devant de
moi et me serrer les mains.
--Exact, c'est parfait, bon soldat; en attendant le diner, nous allons
prendre un verre de _riquiqui_; je n'ai plus mon rhumatisme: vive
l'empereur!
Il appela pour qu'on nous servit; mais, au lieu de la servante, ce fut
Clotilde qui parut. Elle aussi me recut comme un vieil ami, avec un doux
sourire elle me tendit la main.
Les inquietudes et les craintes qui m'enveloppaient l'esprit se
dissiperent comme le brouillard sous les rayons du soleil, et
instantanement je vis le ciel bleu.
Mais cette eclaircie splendide ne dura pas longtemps, le general me
ramena d'un mot dans la realite.
--Puisque vous etes le premier arrive, dit-il, je veux vous faire
connaitre les convives avec lesquels vous allez vous trouver; quand on
est dans l'intimite comme ici, c'est une bonne precaution a prendre, ca
donne toute liberte dans la conversation sans qu'on craigne de casser
les vitres du voisin. D'abord, mon ami le commandant de Solignac, dont
je vous ai deja assez parle pour que je n'aie rien a vous en dire
maintenant; un brave soldat qui eut ete un habile diplomate, un habile
financier, enfin, un homme que vous aurez plaisir a connaitre.
Je m'inclinai pour cacher mon visage et ne pas me trahir.
--Ensuite, continua le general, l'abbe Peyreuc. Que ca ne vous etonne
pas trop de voir un pretre chez un vieux bleu comme moi; l'abbe Peyreuc
n'est pas du tout cagot, c'est un ancien cure de Marseille qui s'est
retire a Cassis, son pays natal;
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