renait pas
directement a partie? le mepris du silence etait un genre de reponse,
genre peu courageux, peu digne, il est vrai, mais je payais ma lachete
d'un plaisir trop doux pour me revolter contre elle.
D'ailleurs je n'avais plus besoin de prudence que pour peu de temps, le
diner touchait a sa fin.
Mais un incident se presenta, qui vint me prouver que je m'etais flatte
trop tot, d'echapper au danger de me prononcer franchement et de me
montrer l'homme que j'etais.
On avait apporte sur la table une vieille bouteille de vin du cap de
l'Aigle, dont l'aspect etait tout a fait venerable.
--Le vin blanc que vous avez bu jusqu'a present, me dit le general, et
que vous avez trouve bon, n'est pas le seul produit de notre pays; nous
faisons aussi du vin de liqueur, et voici une vieille bouteille qui
merite d'etre degustee religieusement. Aussi je trouve que le meilleur
usage que nous en puissions faire, c'est de la boire au souvenir de
Napoleon.
Il emplit son verre, et la bouteille passa de main en main.
Alors le general, levant son verre de sa main droite et posant sa main
gauche sur son coeur:
--A Napoleon, a l'empereur!
Incontestablement j'aurais mieux aime boire mon vin tout simplement
sans y joindre cet accompagnement; mais enfin ce n'etait la qu'un toast
historique, et, pour etre agreable a Clotilde, je pouvais le porter sans
scrupule.
Je levai donc mon verre et le choquai doucement contre celui de tous les
convives, en m'arrangeant cependant pour paraitre effleurer celui de M.
de Solignac, et, en realite, ne pas le toucher.
Puis le vin bu, et il etait excellent, je me dis que j'en etait quitte a
bon compte; mais tout n'etait pas fini.
--Puisque nous sommes ici tous unis dans une meme pensee, dit M. de
Solignac remplissant de nouveau son verre, je demande a porter un toast
qui completera celui du general: a l'heritier de Napoleon, a son neveu,
a Napoleon III.
Cette fois, c'etait trop: Clotilde me tendit la bouteille, je la passai
a mon voisin sans emplir mon verre.
Le pied de Clotilde pressa plus fortement le mien.
--Ce vin ne vous parait pas bon? demanda le general.
--Il est exquis; mais le premier verre me suffit; je ne saurais en boire
un second.
M. de Solignac etendit le bras. Je ne bougeai point. Rapidement le pied
de Clotilde se retira de dessus le mien. Je voulus le reprendre; je ne
le trouvai point. Pendant ce temps, les verres sonnaient les uns contre
les autres.
Heureusem
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