autrefois il pratiquait, dit-on, la
gaudriole, maintenant il entend tres-bien la plaisanterie. Pas besoin
de vous gener avec lui. Enfin, le troisieme convive, Cesar Garagnon,
negociant a Cassis, marchand de vin, marchand de pierre, marchand de
corail, marchand de tout ce qui se vend cher et s'achete bon marche, un
beau garcon en train de faire une belle fortune qu'il serait heureux
d'offrir a mademoiselle Clotilde Martory. Mais celle-ci n'en veut pas,
ce dont je l'approuve, car la fille d'un general n'est pas faite pour un
pekin de cette espece.
Au moment ou le general prononcait ce dernier mot, la porte s'ouvrit
devant M. Cesar Garagnon lui-meme, et ma jalousie, qui s'eveillait deja,
se calma aussitot. Il pouvait aimer Clotilde, il devait l'aimer, mais il
ne serait jamais dangereux: le parfait bourgeois de province avec
toutes les qualites et les defauts qui constituent ce type, qu'il soit
Provencal ou Normand, Bourguignon ou Girondin. Puis arriva un pretre
gros, gras et court, la figure rouge, la physionomie souriante, marchant
a pas glisses avec des genuflexions, l'abbe Peyreuc, ce qu'on appelle
dans le monde "un bonhomme de cure."
Enfin j'entendis sur les dalles sonores du vestibule un pas rapide et
sautillant qui me resonna dans le coeur, et je vis entrer un homme
petit, mais vigoureux, maigre et vif, le visage noble et fait pour
inspirer confiance s'il n'avait point ete depare par des yeux percants
et mobiles qui ne regardaient jamais qu'a la derobee, sans se fixer sur
rien. Avec cela une rapidite de mouvements vraiment troublante, et en
tout la tournure d'un homme d'affaires intrigant et brouillon plutot que
celle d'un militaire; un vetement de jeune homme, la moustache et les
cheveux teints; des pierres brillantes aux doigts; une voix chantante et
fausse.
Je n'eus pas le temps de bien me rendre compte de l'impression qui me
frappait, car il vint a moi amene par le general, et une presentation en
regle eut lieu. Il me semble qu'il me dit qu'il etait heureux de faire
ma connaissance ou quelque chose dans ce genre, mais j'entendis a peine
ses paroles; en tous cas je n'y repondis que par une inclinaison de
tete.
Comment allait-on nous placer a table? M. de Solignac serait-il a cote
de Clotilde? lui donnerait-il le bras pour passer dans la salle a
manger? Ces interrogations m'obsedaient sans qu'il me fut possible
d'en detacher mon esprit. Deja je n'etais plus tout au bonheur de voir
Clotilde; malgre moi le s
|