Pendant que M. de Solignac s'exprimait ainsi, je remarquai en lui une
particularite qui me parut tout a fait caracteristique. C'etait a M.
Garagnon qu'il repondait et il s'etait tourne vers lui; mais, bien
que par ses paroles, par la direction de la tete, par les gestes, il
s'adressat au negociant, par ses regards circulaires, qui allaient
rapidement de l'un a l'autre, il s'adressait a tout le monde. Cette
facon de queter l'approbation me frappa.
--Voila qui prouve, conclut le general, qu'il nous faut au plus vite le
retablissement de l'empire, ou bien nous retombons dans l'anarchie.
--Je crois que la conclusion du general, reprit M. de Solignac, est
maintenant generalement adoptee; je ne dis pas qu'elle le soit par tout
le monde,--le regard circulaire s'arrondit jusqu'a moi,--mais elle l'est
par la majorite du pays. Ce n'est plus qu'une affaire de temps.
--Et comment croyez-vous que cela se produira? demanda l'abbe Peyreuc.
--Ah! cela, bien entendu, je n'en sais rien. Mais peu importent la forme
et les moyens. Quand une idee est arrivee a point, elle se fait jour
fatalement; quelques obstacles qu'elle rencontre, elle les perce pour
eclore.
--Vous prevoyez donc des obstacles? demanda l'abbe Peyreuc, qui
decidement tenait a pousser a fond la question.
--Il faut toujours en prevoir.
--C'est la ce qui fait le bon officier, dit le general; il voit la
resistance qu'on lui opposera, et il s'arrange de maniere a l'enfoncer.
--Dans le cas present, continua M. de Solignac, je ne vois pas d'ou
la resistance pourrait venir. On me repondra peut-etre,--le regard
circulaire s'arreta sur moi,--et l'armee? En effet, l'armee seule
pourrait, si elle le voulait, maintenir le semblant de gouvernement que
nous avons et le faire fonctionner, mais elle ne le voudra pas.
--Assurement, elle ne le voudra pas, affirma le general.
--Elle ne le voudra pas, reprit M. de Solignac, parce que l'armee n'a
pas de politique.
--Eh bien! alors? demanda M. Garagnon, surpris.
--Je comprends que ce que je dis vous etonne; mais vous, negociant, vous
devez l'admettre mieux que personne. Je dis que l'armee en general n'a
pas de politique, mais je dis en meme temps qu'elle a des interets, et
c'est a ses interets qu'en fin de compte on obeit toujours en ce monde.
Bien que je me fusse promis de ne pas intervenir dans cette discussion,
je ne fus pas maitre de moi, et, en entendant cette theorie qui
atteignait l'armee dans son honneur, et
|