- Oh! je n'oublierai rien, soyez tranquille, dit de Guiche
transporte.
-- Je suis bien sur qu'il ne partira plus maintenant, murmura en
sortant le chevalier de Lorraine.
Raoul, une fois le chevalier parti, n'essaya pas meme de dissuader
son ami; il sentait que c'est ete peine perdue.
-- Comte, lui dit-il seulement de sa voix triste et melodieuse,
comte, vous vous embarquez dans une passion terrible. Je vous
connais; vous etes extreme en tout; celle que vous aimez l'est
aussi... Eh bien! j'admets pour un instant qu'elle vienne a vous
aimer...
-- Oh! jamais, s'ecria de Guiche.
-- Pourquoi dites-vous jamais?
-- Parce que ce serait un grand malheur pour tous deux.
-- Alors, cher ami, au lieu de vous regarder comme un imprudent,
permettez-moi de vous regarder comme un fou.
-- Pourquoi?
-- Etes-vous bien assure, voyons, repondez franchement, de ne rien
desirer de celle que vous aimez?
-- Oh! oui, bien sur.
-- Alors, aimez-la de loin.
-- Comment, de loin?
-- Sans doute; que vous importe la presence ou l'absence, puisque
vous ne desirez rien d'elle? Aimez un portrait, aimez un souvenir.
-- Raoul!
-- Aimez une ombre, une illusion, une chimere; aimez l'amour, en
mettant un nom sur votre realite. Ah! vous detournez la tete? Vos
valets arrivent, je ne dis plus rien. Dans la bonne ou dans la
mauvaise fortune, comptez sur moi, de Guiche.
-- Pardieu! si j'y compte.
-- Eh bien! voila tout ce que j'avais a vous dire. Faites-vous
beau, de Guiche, faites-vous tres beau. Adieu!
-- Vous ne viendrez pas a la repetition du ballet, vicomte?
-- Non, j'ai une visite a faire en ville. Embrassez-moi,
de Guiche. Adieu!
La reunion avait lieu chez le roi.
Les reines d'abord, puis Madame, quelques dames d'honneur
choisies, bon nombre de courtisans choisis egalement, preludaient
aux exercices de la danse par des conversations comme on savait en
faire dans ce temps-la.
Nulle des dames invitees n'avait revetu le costume de fete, ainsi
que l'avait predit le chevalier de Lorraine; mais on causait
beaucoup des ajustements riches et ingenieux dessines par
differents peintres pour le Ballet des demi-dieux. Ainsi appelait-
on les rois et les reines dont Fontainebleau allait etre le
Pantheon.
Monsieur arriva tenant a la main le dessin qui representait son
personnage; il avait le front encore un peu soucieux; son salut a
la jeune reine et a sa mere fut plein de courtoisie et
d'affection. Il salua presque
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