esprit.
-- Oh! que vous etes habile! dit Montalais, et que vous comprenez
bien le devoir des femmes!
-- Je m'arrange un bonheur particulier, dit Athenais avec
modestie; je me defends, comme tous les amoureux faibles, contre
l'oppression des plus forts.
-- La Valliere ne dit pas un mot.
-- Est-ce qu'elle ne nous approuve point?
-- Moi, je ne comprends seulement pas, dit Louise. Vous parlez
comme des etres qui ne seraient point appeles a vivre sur cette
terre.
-- Elle est jolie, votre terre! dit Montalais.
-- Une terre, reprit Athenais, ou l'homme encense la femme pour la
faire tomber etourdie, ou il l'insulte quand elle est tombee?
-- Qui vous parle de tomber? dit Louise.
-- Ah! voila une theorie nouvelle, ma chere; indiquez-moi, s'il
vous plait, votre moyen pour ne pas etre vaincue, si vous vous
laissez entrainer par l'amour?
-- Oh! s'ecria la jeune fille en levant au ciel noir ses beaux
yeux humides, oh! si vous saviez ce que c'est qu'un coeur; je vous
expliquerais et je vous convaincrais; un coeur aimant est plus
fort que toute votre coquetterie et plus que toute votre fierte.
Jamais une femme n'est aimee je le crois, et Dieu m'entend; jamais
un homme n'aime avec idolatrie que s'il se sent aime. Laissez aux
vieillards de la comedie de se croire adores par des coquettes. Le
jeune homme s'y connait, lui, il ne s'abuse point; s'il a pour la
coquette un desir, une effervescence, une rage, vous voyez que je
vous fais le champ libre et vaste; en un mot, la coquette peut le
rendre fou, jamais elle ne le rendra amoureux. L'amour, voyez-
vous, tel que je le concois, c'est un sacrifice incessant, absolu,
entier; mais ce n'est pas le sacrifice d'une seule des deux
parties unies. C'est l'abnegation complete de deux ames qui
veulent se fondre en une seule. Si j'aime jamais, je supplierai
mon amant de me laisser libre et pure; je lui dirai, ce qu'il
comprendra, que mon ame est dechiree par le refus que je lui fais;
et lui! lui qui m'aimera, sentant la douloureuse grandeur de mon
sacrifice, a son tour il se devouera comme moi, il me respectera,
il ne cherchera point a me faire tomber pour m'insulter quand je
serai tombee, ainsi que vous le disiez tout a l'heure en
blasphemant contre l'amour que je comprends. Voila, moi, comment
j'aime. Maintenant, venez me dire que mon amant me meprisera; je
l'en defie, a moins qu'il ne soit le plus vil des hommes, et mon
coeur m'est garant que je ne choisirai pas ces gens-
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