is de ne savoir point cacher votre amour.
-- Comment cela? s'ecria de Guiche.
-- Oui, vous ne vous apercevez point d'une chose, c'est que
maintenant ce n'est plus a votre seul ami, c'est-a-dire a un homme
qui se ferait tuer plutot que de vous trahir; vous ne vous
apercevez point, dis-je, que ce n'est plus a votre seul ami que
vous faites confidence de vos amours, mais au premier venu.
-- Au premier venu! s'ecria de Guiche; etes-vous fou, Bragelonne,
de me dire de pareilles choses?
-- Il en est ainsi.
-- Impossible! Comment et de quelle facon serais-je donc devenu
indiscret a ce point?
-- Je veux dire, mon ami, que vos yeux, vos gestes, vos soupirs
parlent malgre vous; que toute passion exageree conduit et
entraine l'homme hors de lui-meme. Alors cet homme ne s'appartient
plus; il est en proie a une folie qui lui fait raconter sa peine
aux arbres, aux chevaux, a l'air, du moment ou il n'a aucun etre
intelligent a la portee de sa voix. Or, mon pauvre ami, rappelez-
vous ceci: qu'il est bien rare qu'il n'y ait pas toujours la
quelqu'un pour entendre particulierement les choses qui ne doivent
pas etre entendues.
De Guiche poussa un profond soupir.
-- Tenez, continua Bragelonne, en ce moment vous me faites peine;
depuis votre retour ici, vous avez cent fois et de cent manieres
differentes raconte votre amour pour elle; et cependant,
n'eussiez-vous rien dit, votre retour seul etait deja une
indiscretion terrible. J'en reviens donc a conclure ceci: que, si
vous ne vous observez mieux que vous ne le faites, un jour ou
l'autre arrivera qui amenera une explosion. Qui vous sauvera
alors? Dites, repondez-moi. Qui la sauvera elle-meme? Car, toute
innocente qu'elle sera de votre amour, votre amour sera aux mains
de ses ennemis une accusation contre elle.
-- Helas! mon Dieu! murmura de Guiche.
Et un profond soupir accompagna ces paroles.
-- Ce n'est point repondre, cela, de Guiche.
-- Si fait.
-- Eh bien! voyons, que repondez-vous?
-- Je reponds que, ce jour-la, mon ami, je ne serai pas plus mort
que je ne le suis aujourd'hui.
-- Je ne comprends pas.
-- Oui; tant d'alternatives m'ont use! Aujourd'hui, je ne suis
plus un etre pensant, agissant; aujourd'hui, je ne vaux plus un
homme, si mediocre qu'il soit; aussi, vois-tu, aujourd'hui mes
dernieres forces se sont eteintes, mes dernieres resolutions se
sont evanouies, et je renonce a lutter. Quand on est au camp,
comme nous y avons ete ensemble, et
|