u l'idee,
mais que vous n'avez pas eu la force de remplir. Mon amour n'a pas eu le
temps de guerir; mais il s'est aigri, et la plaie est plus acre et plus
envenimee qu'auparavant.
Votre conduite est fort prudente. Je ne vous aurais jamais crue si
ingenieuse: vous avez arrange tout cela en un clin d'oeil, et vous avez
surmonte tous les obstacles avec toute l'habilete et tout le sang-froid
du tacticien le plus experimente. Cela est bien beau pour votre age!
Sylvia etait brutale et franche; elle partait en me laissant des billets
ou elle m'apprenait sans facon qu'elle ne m'aimait pas. Vous etes plus
politique; vous savez profiter des occasions et les saisir au vol;
vous arrangez tout d'une maniere si savante et si vraisemblable, qu'on
jurerait que c'est votre mari qui vous entraine, tandis que son coeur
genereux et brave hesite, s'etonne et se soumet sans savoir ce qui vous
passe par l'esprit. Sylvia se soucie mediocrement d'aller s'installer
chez des gens qu'elle ne connait pas, et qui la traiteront peut-etre
fort lestement; mais vous ne tenez compte de rien. Vous me comblez
devant eux d'hypocrites temoignages de regret et d'attachement, et vous
evitez si bien de vous trouver seule un instant avec moi, que, si je
n'etais furieux, je serais desespere. Soyez tranquille; j'ai autant
d'orgueil qu'un autre quand on m'irrite par le mepris. Vous auriez du
me temoigner le votre des le jour ou j'ai eu l'insolence de vous parler
d'amour: je serais parti sur-le-champ, et vous seriez debarrassee de moi
depuis longtemps. Pourquoi prendre tant de peine aujourd'hui? pourquoi
quitter votre maison et deplacer toute votre famille, quand vous n'avez
qu'un mot a dire pour me renvoyer en Suisse? Croyez-vous que je veuille
m'attacher a vos pas et vous fatiguer de mes poursuites? Vous avez
choisi pour refuge la maison Borel, pensant que c'etait le seul lieu du
monde ou je n'oserais pas vous suivre: eh! mon Dieu, c'est trop de soin;
restez et vivez en paix; je pars dans un quart d'heure. Defaites vos
malles; dites a votre mari que vous avez change d'idee: je vous ai vue
ce matin pour la derniere fois de ma vie. Adieu, Madame.
LXVI.
DE FERNANDE A OCTAVE.
Vous vous trompez absolument sur les causes de mon depart et de ma
conduite avec vous. J'exige que vous restiez jusqu'a demain, a moins que
vous ne vouliez faire deviner a mon mari un secret qui peut compromettre
son bonheur et mon repos. Ce soir, a neuf heures, nous partirons, apres
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