nous etre presse la main. Allez au grand ormeau, vous trouverez sous la
pierre mon dernier billet, mon dernier adieu.
DE FERNANDE A OCTAVE.
(Billet place sous la pierre de l'ormeau.)
Je pars parce que je vous aime; vous le dire et resister a vos
transports m'eut ete impossible. Partir sans vous le dire est egalement
au-dessus de mes forces. Je suis un etre faible et souffrant; je ne puis
commander a mon coeur; j'aime mes devoirs et je veux sincerement les
remplir. Ce que j'entends par mes devoirs, ce ne sont pas les seules
lois de la societe; la societe chatie severement ceux qui lui
desobeissent; mais Dieu est plus indulgent qu'elle, et il pardonne. Je
saurais braver pour vous le ridicule et le blame qui s'attachent aux
fautes d'une femme; mais ce que je ne puis vous immoler, le sacrifice
que vous refuseriez, c'est le bonheur de Jacques. Que n'est-il moins
parfait! que n'a-t il eu envers moi quelque tort qui m'autorise a
disposer de mon honneur et de mon repos comme je l'entendrais! Mais,
quand toute sa conduite est sublime envers moi et envers vous, que
pouvons-nous faire? Nous soumettre, nous fuir, et mourir de chagrin
plutot que d'abuser de sa confiance.
Je ne sais pas quand j'ai commence a vous aimer. Peut-etre est-ce des le
premier jour que je vous ai vu, peut-etre Clemence avait-elle tristement
raison en m'ecrivant que je reussissais a donner le change a ma
conscience, mais que j'etais deja perdue lorsque je croyais travailler a
voire reconciliation avec Sylvia. Je ne sais plus maintenant apprecier
au juste ce qui s'est passe dans ma pauvre tete depuis un an; je suis
brisee de fatigue, de combats, d'emotions. Il est temps que je parte; je
ne sais plus ce que je fais; je suis comme vous etiez il y a un mois.
Alors je me sentais encore de la force; d'ailleurs, la crainte de vous
perdre m'en donnait. Que n'aurais-je pas imagine, que ne me serais-je
pas persuade, que n'aurais-je pas jure a Dieu et aux hommes, plutot que
de renoncer a vous voir? Cette idee etait trop affreuse, je ne pouvais
l'accueillir; mais la victoire que nous nous flattions de remporter
etait au-dessus des forces humaines; a peine vous vis-je au point
d'enthousiasme et de courage ou je vous priais d'atteindre, que mon
ame se brisa comme une corde trop tendue; je tombai dans une tristesse
inexplicable, et quand j'en sortais pour contempler avec admiration
votre devouement et votre vertu, je sentais qu'il fallait vous fuir ou
me perdre
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