it bien pale depuis quelque temps! elle me sembla plus triste que
malade. Je resolus de savoir a quoi m'en tenir, et j'entrai dans sa
chambre a minuit.
Le ciel m'est temoin qu'en faisant emporter les enfants je n'avais pas
les intentions qu'Octave m'a supposees. Il y a plus d'un an que je n'ai
endormi ma femme sur mon coeur, et ce serait pour moi une joie aussi
vive et aussi pure aujourd'hui que le premier jour de notre union, si
cette joie etait reciproque; mais il y a un mois que je doute, et ce
mois ou j'aurais pu, sans la faire manquer aux saints devoirs de la
maternite, la presser dans mes bras, a ete pour moi une angoisse
perpetuelle. Elle est sombre et silencieuse, l'as-tu remarque, Sylvia?
Octave est triste, et quelquefois desespere. Ils luttent, ils resistent,
les infortunes! mais ils s'aiment et ils souffrent. En vain j'avais tour
a tour accueilli et repousse la conviction de cet amour reciproque;
elle m'arrivait de plus en plus. Je me decidai enfin hier a l'accepter,
quelque rude qu'elle fut, et a paraitre odieux un instant, afin de
n'etre plus jamais expose a le devenir. Je m'approchai de son lit, et je
vis qu'elle feignait de dormir, esperant, la pauvre femme, se soustraire
ainsi a mes importunites; je la baisai au front, elle ouvrit les yeux
et me tendit la main; mais je crus remarquer un imperceptible frisson
d'effroi et de repugnance. Je lui parlai comme autrefois de mon amour,
elle m'appela son cher Jacques, son ami et son ange protecteur; mais le
nom d'amour etait oublie; et quand je cherchais a attirer ses levres sur
les miennes, sa figure prenait une singuliere expression d'abattement
et de resignation. Une douceur angelique residait sur son front, et son
regard avait la serenite d'une conscience pure; mais sa bouche etait
pale et froide, ses bras languissants. Je jugeai l'epreuve assez forte;
il m'eut ete impossible de trouver du plaisir a la tourmenter. J'avais
horreur du droit dont je suis investi, et dont elle me croyait capable
d'user contre son gre. Je lui baisai les mains, et lui demandai de me
dire sincerement si elle avait quelque chagrin, et si quelque chose
manquait a son bonheur. "Comment pourrais-je trouver que je ne suis
point heureuse, me repondit-elle, quand tu n'es occupe qu'a me rendre
la vie agreable, et a eloigner de moi les moindres contrarietes? Quelle
femme il faudrait etre pour se plaindre de toi!--Quand tu voudras
changer ta vie, lui dis-je, habiter un autre pays, t'entourer
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