le n'en montre, en se combattant comme elle fait?
Puis-je exiger que son coeur se desseche, et que sa vie finisse avec
notre amour?
Je serais un insense et un monstre si je pouvais concevoir contre elle
une pensee de colere; mais je suis horriblement malheureux, car mon
amour est encore vivant. Elle n'a rien fait pour l'eteindre; elle m'a
fait souffrir; mais elle ne m'a ni offense ni avili. Je suis vieux, et
ne puis pas comme elle ouvrir mon coeur a un amour nouveau. Le moment
de souffrir est venu; il n'y a plus a esperer de le retarder ou de
l'eviter. Du moins j'ai contre la souffrance un bouclier qu'aucune
espece de trait ne peut traverser; c'est le silence. Tais-toi aussi, ma
soeur! Je me soulage, en t'ecrivant; mais que ces discours ne viennent
jamais sur nos levres.
LXIII.
DE FERNANDE A JACQUES.
Mon ami, puisque tu ne reviens que demain, je veux t'ecrire aujourd'hui,
et te faire une demande qui me coute beaucoup; mais tu m'as parle hier
soir avec tant de bonte et d'affection que cela m'encourage. Tu m'as
dit que, si j'eprouvais quelque ennui dans ce pays-ci, tu te ferais un
plaisir de me procurer toutes les distractions que je pourrais desirer.
Je n'ai pas accepte sur-le-champ, parce que je ne savais comment
t'expliquer ce que j'eprouve, et je ne sais pas encore comment je vais
te le dire. De l'ennui? aupres de toi, et dans un si beau lieu, avec mes
enfants et deux amis comme ceux que nous avons, il est impossible que je
connaisse l'ennui; rien ne manque a mon bonheur, o mon cher Jacques! et
tu es le meilleur et le plus parfait des amis et des epoux. Mais que
te dirais-je? Je suis triste parce que je souffre, et je souffre sans
savoir de quoi. J'ai des idees sombres, je ne dors pas, tout m'agite et
me fatigue; j'ai peut-etre une maladie de nerfs; je m'imagine que je
vais mourir et que l'air que je respire m'etouffe et m'empoisonne. Enfin
je sens, non pas le desir, mais le besoin de changer de lieu. C'est
peut-etre une fantaisie, mais c'est une fantaisie de malade, dont tu
auras compassion. Eloigne-moi d'ici pour quelque temps; j'imagine que je
serai guerie, et que je pourrai revenir avant peu. Tu me disais l'autre
jour que M. Borel t'engageait beaucoup a acheter les terres de M. Raoul,
et tu me lisais une lettre ou Eugenie se joignait a lui pour te supplier
de venir examiner cette propriete et de m'amener passer l'ete chez elle;
j'ai comme un vague desir de prendre la distraction de ce voyage et de
rev
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