er matin. Le pays est aussi tranquille
qu'il peut l'etre, au milieu d'evenements si imprevus. Cela tue mes
affaires, qui etaient en bon train. N'importe! tant d'autres souffrent
en ce monde, qu'on n'a pas le droit de s'occuper de soi-meme.
Je t'embrasse mille fois. J'ai laisse tous nos amis bien portants a
Paris. Maurice t'embrasse de coeur, et les enfants aussi. Bonjour et
tendresses a Bertholdi et a mon petit George. N'aie pas d'inquietude.
CCCXXXV
A M. SOLLY-LEVY, A PARIS
Nohant, 24 decembre 1851.
Mon cher monsieur Levy, j'avais bien l'intention de vous voir a Paris.
Dans les premiers jours, ne pouvant trouver une heure de loisir, je
ne vous ecrivais pas, comptant le faire aussitot que ma piece serait
jouee[1] et mes autres affaires eclaircies. Je devais passer une
quinzaine a Paris. Les evenements sont survenus. Je n'avais aucune
inquietude pour mon compte et je voulais rester. Mais je me suis
inquietee pour Maurice, que j'avais laisse a Nohant. Le mouvement des
provinces etait a craindre; nous aimons beaucoup le peuple, et, a
cause de cela, pour rien au monde nous ne lui eussions conseille de se
soulever, a supposer que nous eussions eu de l'influence. Je ne sais si
les autres socialistes pensent comme moi, mais je ne voyais pas dans le
coup d'Etat une issue plus desastreuse que dans toute autre tentative du
meme genre, et je n'ai jamais pense que les paysans pussent opposer une
resistance utile aux troupes reglees. Ce n'est pas que le peuple ne
puisse faire quelquefois des miracles; mais, pour cela, il faut une
grande idee, un grand sentiment, et je ne crois pas que cela existe
chez les paysans a l'heure qu'il est. Ils se soulevent donc pour des
interets, et, dans le moment ou nous vivons, leur interet n'est pas du
tout de se soulever. Je craignais donc un soulevement,--non pas chez
nous, nos paysans sont trop bonapartistes, mais non loin de nous,
dans les departements environnants, et un _passage_ ou l'on se trouve
compromis entre les gens qu'on aime et qu'on blame, et ceux qu'on n'aime
pas, mais qu'on ne veut pas voir opprimer et maltraiter. La position eut
ete delicate et je voulais y etre. Je suis donc partie un peu au
milieu des balles, le 3 decembre, avec ma fille et ma petite-fille, et
j'attends que la situation soit un peu detendue et la mefiance moins
grande pour retourner achever mes affaires a Paris. Ici, on a fait
beaucoup d'intimidation injuste et inutil
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